Le Comité National d’Action Laïque (CNAL), par Jacques Moisan

Les envahisseurs catholiques

Des militants syndicalistes ont progressivement renié leurs engagements et l’indépendance de leurs organisations. Engagés dans un processus sans fin, ils ont accepté la mainmise de la CFDT-CFTC sur le Comité national d’action laïque.
L’opération a été rondement menée. Les cléricaux savent faire.

Edité par la Fédération Nationale de la Libre Pensée

Acte I : le colloque du CNAL des 13 et 14 mai 1971.

Jean Cornec, président de la Fédération des parents de l’enseignement public (FCPE, de « gauche ») est à l’époque l’un des principaux animateurs du CNAL. Dans un livre publié fin 1977, « Pour l’école libre, défense et illustration de la laïcité » (1) – « l’école « libre », c’est évidemment dans son esprit, l’école publique laïque -, il revient sur l’évènement.

Le livre de Jean Cornec est riche d’enseignements. On y trouve l’affirmation de principes essentiels consignés dans la loi de séparation de 1905 mais aussi, bien des contradictions.

Comment l’école publique laïque peut-elle rester à l’abri des groupes de pression si l’on doit admettre qu’« elle ne soit plus placée directement sous le contrôle d’une administration toute-puissante et anonyme (?) mais sous la responsabilité conjointe des usagers, des enseignants et des représentants de l’administration », d’autant que « cette gestion tripartite s’étendra à tout le domaine éducatif sans secteur interdit et ne constituera pas une caution pour une gestion de pénurie mais un véritable organisme de concertation et (c’est cela le plus important) de décisions », (page 161).

Dans un chapitre intitulé « Les démolisseurs », il écrit :
« A côté des organisations philosophiques (Union rationaliste, Libre pensée, Grand Orient de France) et des grands partis politiques (Parti Communiste, Parti Socialiste, Parti Radical-Socialiste), qui soutiennent habituellement nos actions, les trois grandes centrales syndicales se trouvaient pour la première fois représentées au colloque. Si la CGT et la CGT-FO avaient toujours fidèlement suivi nos travaux, la présence pour la première fois d’une délégation de la CFDT, menée par Michel Rolant, était à nos yeux à la fois un aboutissement et un signe d’espoir. » (2).

Au moins, les choses sont clairement affirmées.
L’enthousiasme est tel que Jean Cornec ne résiste pas au plaisir de citer les propos introductifs de Michel Rolant :
« La participation au colloque d’une délégation représentative de la CFDT, constituée de représentants de régions et fédérations confédérées et de cinq membres de son bureau national, n’est pas le fait du hasard ni de la conjoncture. Elle témoigne avec éclat de l’intérêt que les travailleurs portent aujourd’hui à la question essentielle de l’Education nationale, de sa crise et de son avenir, et des contributions que le CNAL peut apporter à la solution des problèmes posés », (Page 212).

Elle indique surtout que les recommandations épiscopales (cf. Lettre apostolique à Mgr Roy, 1er article) sont suivies d’effets immédiats.
Les militants syndicalistes qui prétendent que l’apport de la CFDT est synonyme de « renforcement du camp laïque » et constitue à terme un « plus » pour la « démocratie socialiste » se fourrent le doigt dans l’œil, pour rester poli.

La nouvelle ligne du CNAL : le ralliement à Vatican II.

Les cléricaux sont exigeants. De leur point de vue, ils n’ont pas tort puisque « ça marche ». D’abord, les exigences du serment de Vincennes passent à la trappe.
Plus question de se battre pour l’abrogation des lois anti laïques. Plus question de revendiquer des fonds publics exclusivement pour le service public. La priorité nouvelle, c’est désormais la « modernisation » du service public, préalable à la « nationalisation ». Quel en est le contenu ?

Jean Cornec nous explique que la « nationalisation » est fondée sur le principe de la « gestion tripartite » qui ne devra pas « porter atteinte à l’unité du service public national, seule à même d’assurer la cohérence et l’efficacité de son intervention ainsi que les garanties de qualité et de laïcité. » Jean Cornec ne semble pas y voir de contradiction. D’autant qu’il « revendique », à la suite de la CFDT, l’instauration de « conseils » composés :
– des représentants des pouvoirs publics, des administrations et des collectivités publiques concernées,
– des représentants des diverses catégories de personnels,
– des représentants des diverses catégories d’usagers, parents d’élèves, élèves et étudiants, travailleurs, employeurs, publics et privés.

L’OPA des cléricaux a fonctionné. Il reste à ingurgiter le calice jusqu’à la lie.

Le 9 décembre 1972, les dirigeants de la FEN et du SNI « autonomes » défilent à la remorque des chefs de l’Union de la Gauche en construction : Fabre, le « radical », Mitterrand, le « socialiste », Marchais, le « communiste ». Tout ce petit monde réclame « une autre politique scolaire résolument orientée vers la démocratisation de l’enseignement ».

Le CNAL, instrument de défense de la laïcité de l’école, de la laïcité institutionnelle n’est plus qu’un « bidule » instrumentalisé par la « gauche » politique. Le CNAL est mort (3). Il n’est plus question de dénoncer « le coup d’Etat permanent » ; il s’agit maintenant pour la « nouvelle gauche » institutionnelle de s’inscrire dans le cadre de la Vème République, d’en respecter les lois et les grands équilibres, et ce faisant, de trouver une juste place dans la future Europe vaticane.

Les instituteurs commencent à déserter les rangs du SNI.
Le phénomène s’accélère brutalement à compter de mai 1981. C’est plutôt rassurant.

Jeu de rôle :
Comme pour se justifier, Jean Cornec écrit : « La hiérarchie catholique n’hésitait pas à agir au plus haut niveau pour empêcher la rénovation de l’enseignement public », (page 223). Faux.
Certes la « hiérarchie catholique » n’est pas un bloc homogène.  Une partie d’entre elle se contenterait de palper, via les lois anti laïques de « droite », puis de « gauche » (accords Lang-Cloupet …) les fonds publics généreusement distribués. Une autre fraction – le courant Vatican II – est plus ambitieuse et voit dans l’ouverture du « deuxième front » – la « transformation » du service public – une opportunité à ne surtout pas manquer.

Sur toutes ces questions, on pourra se référer au livre de Bernard Hazo : « L’homme qui dit NON » ; plus particulièrement les documents 2, 3 et 4, de la page 167 à la page 172.

Acte II. Epinay, les 11, 12, 13 juin 1971.

Le processus d’ « unification des socialistes » reste inachevé.  Le PSU-CFDT d’Edmond Maire et Rocard n’y est pas totalement associe. Rocard fulmine et dénonce à qui mieux-mieux « l’OPA » de Mitterrand. Il faudra attendre 1974 et les « Assises  du socialisme » pour que Rocard et sa « bande » se rallie au nouveau parti « socialiste ». Les haines – pas très catholiques – sont ardentes.
Ces gens-là parlent de « front de classe », de « rupture avec la capitalisme ». Tout est permis pour manipuler les militants ouvriers.

Le rassemblement des cléricaux prend formeMitterrand déclare devant le congrès d’Epinay :

« Si c’est une fête, moi, cela me plait ! Si c’est une cérémonie, c’est déjà ennuyeux. Si c’est un rite, cela se gâte. Si c’est le sentiment que nous sommes pionniers, nous allons pour la première fois depuis 60 ans rassembler : c’est fait, unifier – je le crois – tous les courants profonds du socialisme ».
Les courants profonds du socialisme unifié ? Ce serait reconstituer la première internationale. C’est exactement l’inverse.

« Les courants, je ne veux pas non plus en faire la liste. Je constate pour le moins que les marxistes sont nombreux ». Sans rire …

« Les vrais et les faux … » On ne saura pas quels sont les vrais, quels sont les faux …

« ( … )  Qu’il y a une tradition proudhonienne débordante … »
C’est que nos socialistes unifiés parlent de « réformes » de l’entreprise, et même «  d’ « autogestion » et  « que les personnalistes d’Emmanuel Mounier sont, c’est l’occasion de le dire, Dieu soit loué, parmi nous. » Sans doute pas tous, mais le cadre est posé.

« C’est notre fête à tous qui sommes venus pour bâtir le socialisme », celui des gens d’Esprit, celui des « uriagistes » miraculeusement convertis au socialisme « démocratique » réunis autour de M. Beuve-Méry dès la libération.

 

Délégation de la Nièvre : J. Battut, l’ex syndicaliste auprès de F. Mitterrand. (Source : Institut F. Mitterrand. Photo reproduite dans l’ouvrage de J. Battut).

L’ancien secrétaire général de la CFTC, puis de la CFDT, Eugène Descamps note :

« En juin dernier, un espoir est né (…) mais ce n’est qu’un début. (…) Après Epinay, de nombreux militants syndicalistes sont entrés au PS, (…) ils ont été intéressés par la volonté de réaliser l’unité de la gauche, en pratiquant avec le PC, sur des objectifs précis, une unité d’actions comparable à celle qui existe entre CGT et CFDT ».

Unité qui prend la forme des « kermesses », manifs « syndicales » sans revendication (4) mais qui sont supposées plaire à la « base ». Descamps est un partisan déclaré du « syndicalisme rassemblé ». En  décembre 1966, il propose une campagne de syndicalisation commune à la CGT. (Source : F. Georgi, « Eugène Descamps, chrétien et socialiste », page 282).

Il y a toujours deux options : celle de l’intégration à l’appareil d’Etat ou celle de la résistance.

Les partisans du programme commun de gouvernement prétendent rassembler « toute la gauche », partis, syndicats, associations … derrière le candidat commun.

L’espace vital des militants syndicalistes qui – à l’intérieur du nouveau parti – entendent rester sur le terrain du mouvement ouvrier se rétrécit singulièrement … Il y a ceux qui résistent et ceux qui flanchent.

Un hiérarque du néo parti socialiste note que François Mitterrand, avant d’être un habile manœuvrier, est d’abord un « homme de terrain ».

Le témoignage de Jean Battut prouve que Mitterrand n’hésite pas en effet à consacrer des heures de discussions individuelles pour convertir des militants syndicalistes, secrétaires du « très laïque SNI »,  a priori « ingagnables » à des thèses radicalement en opposition à toutes les traditions du mouvement ouvrier et plus particulièrement à des militants très « sensibles » aux questions laïques.

En guise de conclusion provisoire …

Le congrès d’Epinay a marqué des générations de militants. Beaucoup ont cru, sans doute de bonne foi – sans jeu de mot trop facile – y trouver une solution. D’autres ont été plus lucides. Aujourd’hui, ce parti dit socialiste arrive, semble-t-il, en bout de course.

Parmi les militants syndicalistes,

  • ceux qui ont combattu l’ « Europe » de Maastricht,
  • ceux qui ont voté NON en 2005,
  • ceux qui ont combattu toutes les contre-réformes de « droite » ou de « gauche »,
  • ceux qui ont combattu l’austérité de son « excellence » Jacques Delors, de Raymond Barre et de bien d’autres,
  • ceux qui se battent dans leur syndicat pour préserver les acquis de la grève générale de mai-juin 36 et de la Libération, et ainsi, préparent les conditions de la « reconquête »,
  • ceux qui, contre les jaunes de la CFDT ont toujours défendu les conquêtes ouvrières, en particulier, la Sécurité sociale, et toutes les autres …,

n’iront pas pleurer en souvenir d’un parti qui n’a pas « trahi » les intérêts  des salariés – il ne les a jamais défendus –  mais a toujours joué son rôle fondamental de gardien de l’ « ordre » capitaliste que la charte d’Amiens veut mettre à bas.

5 avril 2017

 

Jacques Moisan, libre penseur et syndicaliste, retraité de l’enseignement

 

 


(1) Un document qui montre bien les chemins tortueux suivis tant bien que mal par des militants honnêtes, mais prisonniers « volontaires » de la nasse de la « deuxième gauche». (300 pages).

(2) Les militants syndicalistes qui appliquent sans sourciller la ligne du PCF figurent parmi les plus ardents défenseurs de l’ « ouverture » du CNAL aux néo-cléricaux. Mais ce n’est pas l’objet de ce texte de développer cet aspect du problème.

(3) Les leaders de la FEN engagés dans la « recomposition syndicale» sous la direction de la CFDT se félicitaient de l’adoption par le BN de la CFDT d’un document intitulé : « Pour un service public de l’Education nationale, démocratique et laïque » qui « insistait  à la fois sur l’aspect démocratique de ce service dans ses finalités, dans ses méthodes, dans sa gestion (tripartite) et sur son aspect laïque qui n’est pas la neutralité, mais la libre expression des personnes dans leur diversité, favorisant le développement des consciences individuelles ». La messe était dite.

(4) Descamps : « dans l’Eglise, on a besoin de cérémonies, de processions, on fait sa communion solennelle. De même, les travailleurs ont besoin de se sentir côte à côte et d’agir collectivement. Je me rappelle le père Frachon (secrétaire général de la CGT) me disant en cours de défilé : ils sont contents de nous voir ainsi, bras dessus, bras dessous». (Source : Hamon et Rotman, la deuxième gauche, page 184).  Chapeaux pointus, turlututu … comment dire ? Ras le bol … on a déjà donné. Regardons plutôt du côté de nos camarades de la Guyane …