Amis, compagnons, camarades,
A l’initiative des Libres penseurs latino-américains, notamment les Argentins et les Uruguayens, le Congrès international de l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP) tenu à Mar del Plata en Argentine en 2013, décidait de faire du 20 septembre la journée commémorative de l’Association qui je le rappelle réunit aujourd’hui 25 pays sur les cinq continents.
Pourquoi le 20 septembre ? Tout simplement en l’honneur du « Héros des deux mondes », l’internationaliste GIUSEPPE GARIBALDI qui s’illustra en Uruguay notamment pour libérer cette colonie du joug de la couronne espagnole, mais aussi le 20 septembre 1870 en Italie, lors du siège de Rome, en ouvrant la brèche de la Porta Pía qui permit le démantèlement des Etats Pontificaux. Notons au passage qu’il a fallu attendre les accords de Latran pour que le fasciste Mussolini redonne à l’Eglise un statut de pseudo Etat, illustration parfaite de l’alliance du sabre et du goupillon.
Salut à toi, Garibaldi, dont le nom est gravé au dessus de nos têtes mais aussi dans nos mémoires.
Comme vous me l’avez demandé, mon propos portera sur les liens entre la Fédération Nationale de la Libre Pensée et les associations amies d’Amérique latine assemblées dans l’AILP, dans cette Amérique latine où s’est repliée l’Eglise catholique face à une Europe largement sécularisée. Toutefois, depuis le Siècle des Lumières – je pense à l’ouvrage éponyme du Cubain Alejo Carpentier – entendre « Carpentier » prononcé à la française puisque son grand père était de Saint-Nazaire – les forces de la raison ont façonné le sous continent.
Rien d’étonnant à ce que ce versant là de l’histoire soit demeuré confidentiel pour les Européens, les dominants ayant très largement partie liée avec l’Eglise dont on sait le rôle qu’elle joué au cours de la conquête. L’évangélisation ne fut qu’un prétexte cynique à la mise en place de la « Reducción ». J’emploie à dessein, ce terme qui désignait les territoires colonisés par les Jésuites, en Uruguay notamment ces plantations où les indigènes étaient réduits aux travaux forcés, à l’esclavage.
Certains historiens dont Eduardo Galeano, auteur du livre au titre ô combien significatif Les veines ouvertes de l’Amérique latine, affirment que les « conquistadores » tenaient d’une main l’épée et de l’autre, la bible.
L’Inquisition, abolie en Colombie au début du XIX siècle seulement, faisait régner l’ordre clérical et féodal sur tout le continent. Face à cette situation une partie de l’élite éclairée, voire initiée, de la bourgeoisie créole au début du XIXè siècle allait se révolter contre la Couronne espagnole. De Simón Bolivar à Benito Juàrez, la plupart des « Libertadores » étaient franc-maçons, certains d’entre eux, anticléricaux et libres penseurs. Ces « Próceres », hommes politiques militaires et juristes sont les pères tutélaires des nations qu’ils ont fondées, de Mexico à Buenos Aires, ces Républiques dont nous connaissons aujourd’hui les contours.
Certes, au cours de l’histoire, la réaction cléricale l’emportera souvent sur l’idéal émancipateur des fondateurs ; nous savons que l’histoire est bien souvent tragique. Toutefois les forces du progrès sont bien présentes dans ces contrées, et parmi elles la maçonnerie, quand elle n’est pas dans les mains des libéraux, joue le rôle émancipateur pour laquelle elle a été créée : promouvoir la liberté de conscience et améliorer l’Homme et la société, idéal parfaitement compatible avec le nôtre.
Si je vous parle tant de maçonnerie c’est parce que certaines obédiences avec lesquelles nous travaillons portent les valeurs de la Libre Pensée. Je pense concrètement au Grand Orient Equatorien, dont l’actuel Grand Maître, à titre de citoyen, est membre du Bureau de l’AILP, tout comme Elbio Laxalte Universitaire, Président des Ateliers supérieurs du Grand Orient d’Uruguay, tout comme Fernando Lozada maçon argentin qui a dénoncé avec force dans nos colonnes les manigances de l’Eglise pour entraver la justice s’agissant des crimes pédophiles dans des établissements. Je salue au passage le travail fondateur de notre camarade Jacques Lafouge, passé Grand Maître du GODF, qui s’est employé à tisser des liens entre les libres penseurs maçons et profanes des deux rives de l’Atlantique.
Notre camarade, le franco-argentin Devrig Mollès, Directeur des Archives de la Grande Loge d’argentine, rencontré à Paris au Colloque de l’IRELP (Institut de Recherches et d’Etudes de la Libre Pensée) en septembre dernier, explique simplement ce compagnonnage : les libres penseurs pouvaient s’organiser dans la clandestinité des loges, à l’abri de leurs détracteurs acharnés.
Illustration historique de mon propos : je mentionnais tout à l’heure, Benito Juàrez, franc-maçon qui fut Président des Etats-Unis du Mexique et qui, en 1861, institua la Séparation des Eglises et de l’Etat et nationalisa les biens du clergé. S’il ne fut pas à proprement parler libre penseur, il a dans les faits mis en place les principes fondamentaux de la Libre Pensée.
En Argentine, Domingo Faustino Sarmiento, Président de l’Argentine de 1868 à 1874 se fit l’avocat infatigable de la rationalité et de l’instruction publique – impliquant la scolarisation des enfants et la formation des femmes -, et de la démocratie en Amérique latine.
En Uruguay José Pedro Varela, disciple de Sarmiento, devenu Directeur de l’Enseignement mit en œuvre sa pensée en promulguant la « Loi de l’Education commune » le 24 aout 1977, qui rendait l’Education primaire obligatoire et gratuite pour les enfants de 5 à 15 ans. L’Education était désormais fondée sur de nouvelles méthodes et non sur la religion catholique. L’apprentissage de la religion devient facultatif, enseigné dans les écoles mais en dehors des cours.
En son temps, le révolutionnaire équatorien Eloy Alfaro avait mis fin à l’Etat théocratique et institué des « campus laïques ».
A l’appel de la Fédération des libres penseurs du monde pas moins de dix pays latino-américains, ceux précédemment cités mais encore Cuba, le Pérou, la République Dominicaine, Puerto Rico, la Colombie participèrent au Congrès international de Madrid de 1892 ou envoyèrent des courriers de soutien.
Il en fut de même pour le Congrès de Rome qui se déroula du 19 au 21 septembre 1904, acte symboliquement très fort où l’on commémora l’anniversaire de la bataille de Valmy le 20 septembre 1792, qui vit le triomphe de la République sur la coalition contre-révolutionnaire des monarchies européennes, et celui de la prise de Rome par Garibaldi le 20 septembre 1870 où quelque 30 000 personnes se réunirent face à la Porta Pia à Rome.
Si l’on en croit El Dominical, journal espagnol de l’époque, je cite : […] En tête du cortège est une société de musique, composée d’ex-garibaldiens. […] La bannière qui ouvre le cortège est la bannière noire des condamnés politiques du gouvernement pontifical, autour de laquelle se groupent de nombreuses bannières de loges maçonniques et de sociétés populaires, les drapeaux rouges de la Fédération de Bretagne et de l’Union des Groupes révolutionnaires de la Seine. Les musiques jouent alternativement la Marseillaise, l’Hymne de Garibaldi et l’Hymne des Travailleurs tandis que la foule chante l’Internationale ».
Il est intéressant de noter que vingt-sept comités nationaux étaient représentés, réunis face au Vatican – le message ne pouvait être plus clair – à l’appel de l’Association Nationale des Libres Penseurs, toutes les sociétés de Libre Pensée, les Loges Maçonniques, les Universités populaires et tous les Etablissements d’Instruction, les Communautés religieuses libres, les Sociétés de culture éthique, les cercles d’études politiques et sociales, les Sociétés positivistes, les Sociétés de crémation, les Sociétés d’étudiants anticléricaux, la Jeunesse laïque, les Ligues d’Enseignement laïque, les Comités libéraux, républicains et socialistes, en un mot tous les entités et les individus qui défendent la « liberté de conscience ». On voit donc que le Congrès de 1904 est axé sur la collaboration étroite des pays européens et latino-américains et réunit les sensibilités auxquelles nous nous adressons aujourd’hui.
L’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP), née à Oslo en 2011, poursuit, sur les mêmes bases cette tradition en élargissant son audience. Si la Séparation des Eglises et de l’Etat, indispensable à l’expression pleine et entière de la liberté de conscience est inscrite dans la constitution française, dans la plupart des pays les libres penseurs se battent pour l’obtenir. Quant à nous, il convient d’intensifier notre soutien au combat universaliste de nos camarades des cinq continents pour la Séparation des Eglises et de l’Etat et notamment ceux du continent américain où la réaction est top souvent à l’œuvre.
En septembre 2020, le prochain congrès mondial de l’AILP, axé sur la défense de l’Ecole Publique et de la Laïcité, se tiendra à Madrid. Je vous invite dès à présent à soutenir activement cette initiative.
Vive la Libre pensée nationale et internationale !
Vive la pensée libre !
Vive la sociale, à bas la calotte et les cléricalismes de tout poil.