Discours de Robert Boston
Américains Unis pour la Séparation – USA
« Nous enseignons au monde » :
le déclin et la chute de la vision de l’État laïque de James Madison aux États-Unis
James Madison est l’une des figures les plus importantes de l’histoire américaine – surtout en ce qui concerne la séparation de l’Église et de l’État et le gouvernement laïque.
Beaucoup de gens, lorsqu’ils pensent à la séparation de la religion et du gouvernement en Amérique, pensent d’abord à Thomas Jefferson – et c’est approprié. Après tout, Jefferson a rédigé le Statut de Virginie pour la liberté religieuse, qui a mis fin au soutien gouvernemental de l’Église anglicane en Virginie et garanti la liberté de culte pour tous. Mais nous devons nous rappeler que le Statut de Virginie serait resté de simples mots sur un parchemin si Madison ne l’avait pas mis à l’ordre du jour de la législature pour lui donner force de loi en 1786.
En 1802, Jefferson parla avec éloquence du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis, créant un « mur de séparation entre l’Église et l’État », mais c’est uniquement grâce à Madison que nous avons ce Premier Amendement. Madison a intégré les principes du Statut de Virginie – aucune Église officielle et liberté de culte pour tous – dans le Premier Amendement. Madison fut l’un des principaux auteurs du Premier Amendement et en fait de l’ensemble de la Constitution. En Amérique, il est connu comme le « Père de la Constitution ».
Madison savait que participer à la naissance des États-Unis était un accomplissement important, un de ceux qui constitueraient son héritage. Pendant sa retraite, Madison correspondait avec de nombreux amis et associés. Dans une lettre datée du 10 juillet 1822 à Edward Livingston, Madison observa : « Nous enseignons au monde la grande vérité que les gouvernements se portent mieux sans rois ni nobles qu’avec eux. Le mérite sera doublé par l’autre leçon, que la religion s’épanouit avec une plus grande pureté, sans que ce soit avec l’aide du gouvernement. »
Les États-Unis étaient encore un pays relativement jeune en 1822. Notre Constitution n’était en vigueur que depuis 33 ans. Pourtant, Madison n’hésita pas à expliquer ce que nous enseignions au monde. Il croyait clairement que notre manière de faire les choses valait la peine d’être exportée vers d’autres nations.
« Nous enseignons au monde. » Aujourd’hui, je pense souvent aux mots de Madison. Du temps de Madison, une jeune nation audacieuse osait dire au monde qu’il ne devrait y avoir aucun roi. Elle promouvait l’idée radicale de la séparation entre la religion et le gouvernement. C’est ce que nous avons enseigné au monde.
Que sommes-nous en train d’apprendre au monde aujourd’hui ? Des choses assez différentes, me semble-t-il : que les faits ne signifient rien et peuvent être étirés comme de la pâte à modeler. Que la réalité est définie par ce que dit un prétendant au pouvoir. Que vous n’avez pas besoin de croire aux preuves que vous voyez de vos propres yeux – c’est-à-dire, que nous n’avons pas besoin de respecter les preuves scientifiques. Que les puissants, la majorité, s’attribuent plus de droits que les autres simplement en raison de leur nombre. Que certains Américains sont inférieurs.
Nous sommes réunis ici, aujourd’hui, pour une occasion solennelle : célébrer le 120e anniversaire de la laïcité française. Tout en adressant mes chaleureuses félicitations pour cette étape, je ne peux m’empêcher de noter une ironie : les États-Unis, qui ont été les pionniers du concept de gouvernement laïque et l’ont exporté vers d’autres pays, abandonnent rapidement ce principe.
Notre situation est grave, et il est de mon triste devoir aujourd’hui de vous informer que vous ne pouvez plus compter sur les États-Unis pour enseigner au monde la valeur d’un gouvernement laïque. Cette leçon devra venir d’autres nations, telles que la France.
Notre situation malheureuse peut être imputée à Donald Trump. Lorsque Trump a été élu pour la première fois en 2016, je pensais que c’était un coup de chance. Dans notre système compliqué, Trump a réussi à remporter une victoire au Collège électoral alors que la majorité des Américains n’avaient pas voté pour lui. Mais en 2024, une majorité a voté pour lui. Ils ont voté pour lui en sachant parfaitement qu’il n’a absolument aucun respect pour notre démocratie. Ils ont voté pour lui en étant bien conscients qu’il avait incité une foule à saccager le Capitole des États-Unis le 6 janvier 2021. Ils ont voté pour lui en sachant qu’il est grossier, intellectuellement limité et dépourvu de la moindre éthique. Ils ont voté pour lui en sachant qu’il est un délinquant sexuel.
Le résultat est que notre démocratie vacille. Des chars et des soldats armés patrouillent dans nos grandes villes. Les personnes ayant la « mauvaise » couleur de peau – c’est-à-dire noires ou brunes – sont arrachées aux rues par des agents fédéraux masqués et envoyées vers on ne sait où. Trump et ses alliés ferment des branches entières du gouvernement fédéral. Les néo-fascistes complotent ouvertement pour truquer les élections et élaborent des plans afin de rester au pouvoir pendant une génération. Les ennemis perçus de Trump sont accusés de crimes fictifs et traînés devant les tribunaux. Pendant ce temps, la Cour suprême reste les bras croisés et ne fait rien.
Deux formes de fascisme – et je n’hésite pas à utiliser ce terme – affligent notre nation. L’une est représentée par une classe de ploutocrates millionnaires/milliardaires qui rechignent à payer des impôts et estiment que notre gouvernement ne devrait, pour l’essentiel, rien faire d’autre que rediriger les ressources vers eux. L’autre est celle des fascistes théocratiques qui s’efforcent de faire de la conception fondamentaliste du christianisme la religion officielle de facto des États-Unis.
Ces deux camps se sont unis pour renverser notre démocratie. Les résultats de leurs actions sont faciles à voir : les femmes ont déjà perdu le droit à l’avortement légal dans plusieurs États. Les droits des membres de la communauté LGBTQ, en particulier les Américains transgenres, sont progressivement érodés. La discrimination contre les non-chrétiens et les non-croyants est désormais culturellement et légalement acceptée dans de nombreux cas. Des livres sont retirés des bibliothèques publiques, et plusieurs États essaient d’imposer des manifestations ouvertement religieuses, y compris d’énormes affiches représentant les Dix Commandements, dans nos écoles publiques. Des milliards de dollars sont détournés de nos écoles publiques et transférés vers des écoles religieuses privées qui n’ont aucune responsabilité envers le public qui est obligé de les financer.
J’ai passé les derniers mois à parler dans différentes régions des États-Unis, du Colorado et du Texas à l’Iowa et au Missouri. Partout où je vais, les gens me demandent : Que pouvons-nous faire ? Le problème est qu’il n’y a pas de réponse facile. Les avantages de la démocratie et d’un gouvernement laïque sembleraient aller de soi. Mais si les gens les ont rejetés pour une raison quelconque, ils ne seront pas facilement rétablis.
Je ne suis pas sûr de la direction que prend mon pays. Je pensais autrefois que nos normes et traditions démocratiques étaient suffisamment solides pour résister aux défis qu’elles affrontent actuellement. Je n’y crois plus. Quelque chose doit céder. Mon espoir est que ce que nous traversons en Amérique n’implique pas des niveaux massifs de violence et de morts – bien que nous en voyions déjà certains signes. Je ne peux qu’espérer que ce qui surgira des cendres indiquera un avenir meilleur.
Dans ce sens, j’ai rassemblé quelques réflexions sur ce que nous, aux États-Unis, devons faire – en supposant que nous survivions à cette période actuelle.
Tout d’abord, nous avons besoin de références explicites à la séparation de la religion et du gouvernement et à un gouvernement laïque dans notre Constitution, y compris les expressions « séparation de l’Église et de l’État » et « gouvernement laïque ». Nous avons également besoin d’une déclaration claire selon laquelle nos lois doivent être basées sur des justifications laïques et rationnelles, ce que la Cour suprême acceptait autrefois mais qu’elle a récemment abandonné.
Deuxièmement, les États-Unis ont besoin d’un système de protection sociale et de soutien pour ceux qui en ont besoin, qui soit fourni par l’État et non ancré dans des communautés religieuses. Notre aide aux personnes dans le besoin doit être fournie par l’État, et elle doit être laïque.
Troisièmement, tout soutien des contribuables à l’éducation religieuse doit être supprimé. Les écoles religieuses ont le droit d’exister, mais elles n’ont pas le droit de contraindre les autres à financer leur entretien. De nombreuses écoles religieuses enseignent des vues incorrectes sur la science et l’histoire. Beaucoup prêchent l’intolérance et s’opposent aux droits fondamentaux des femmes, des minorités religieuses et des membres de la communauté LGBTQ. Beaucoup s’opposent à la démocratie. Il n’est pas dans l’intérêt de l’État de soutenir ces institutions.
Quatrièmement, notre Constitution doit contenir des protections explicites pour la liberté reproductive, y compris le droit à l’avortement légal, et garantir l’égalité des droits civils pour les membres de la communauté LGBTQ, y compris le droit de se marier.
Cinquièmement, toutes les formes de ce que nous appelons en Amérique la « religion civile » doivent prendre fin. Cela signifie mettre fin à l’utilisation de « In God We Trust » comme devise nationale, le retirer de la monnaie et supprimer l’expression « sous Dieu » du Serment d’allégeance.
Sixièmement, les politiciens doivent cesser de prêcher. Ce n’est pas leur rôle. Lors d’un événement au Musée de la Bible à Washington, D.C., en septembre, Trump a déclaré : « En tant que président, je défendrai toujours l’héritage glorieux de notre nation, et nous protégerons les principes judéo-chrétiens de notre fondation. Nous devons ramener la religion en Amérique – la ramener plus forte que jamais. »
Dans un État laïque, aucun politicien ne devrait se fixer pour objectif de « ramener » la religion. Les individus sont tout à fait capables de décider eux-mêmes de la place qu’ils souhaitent accorder à la religion dans leur vie. Quand, si, où et comment nous pratiquons notre culte ne regardent en rien le gouvernement.
Enfin, nous devons remettre en question l’idée, courante en Amérique, selon laquelle la religion mérite un traitement spécial. De nombreuses religions prêchent l’intolérance ; certaines justifient même la violence contre ceux qui croient différemment. Bien que l’État doive respecter la liberté de conscience, il n’a pas à rester silencieux lorsque des expressions de foi cherchent à enlever les droits des autres ou causent du tort à des individus spécifiques ou à la société dans son ensemble.
Aux États-Unis, nous apprenons à nos dépens ce qui peut arriver lorsque des groupes religieux se déclarent au-dessus des lois. Pendant la pandémie de COVID-19, certaines maisons de culte ont refusé de respecter des réglementations conçues pour protéger tout le monde. Lorsque les vaccins sont devenus disponibles, elles ont adopté des théories du complot absurdes et ont combattu des mesures de santé publique vitales.
Considérez également l’assaut contre notre Capitole le 6 janvier 2021. Si vous regardez des images de cet événement, vous remarquerez une chose intéressante : beaucoup de membres de la foule agitaient des croix ou brandissaient des Bibles. Leurs croyances religieuses extrêmes les ont amenés à adopter la violence et à défendre le chaos. Présentés avec une théorie du complot ridicule – selon laquelle l’élection de 2020 avait été volée à Trump – ils manquaient des outils intellectuels pour traiter l’information et parvenir à la vérité.
C’est, peut-être, le plus grand défi auquel l’Amérique est confrontée en ce moment : un nombre considérable de nos citoyens manquent de capacités intellectuelles suffisantes pour se prémunir contre les absurdités. Et beaucoup de ces citoyens sont des extrémistes religieux.
Malgré mon pessimisme, je garde espoir en l’avenir, car je connais un peu l’histoire et je sais que les tyrans ne règnent souvent pas éternellement. Ils finissent inévitablement par tomber.
Quatre ans seulement avant que Madison n’écrive sur l’enseignement au monde, Percy Bysshe Shelley composait le poème « Ozymandias », dans lequel « un voyageur venu d’un pays antique » raconte ce qu’il a vu dans un désert oublié : un monument tombé – « deux jambes de pierre immenses et sans tronc » – accompagné d’un avertissement à tous : « Contemplez mes œuvres, ô puissants, et désespérez. »
Croyez-moi, il y a des jours où beaucoup d’entre nous, en Amérique, regardent les œuvres de l’administration actuelle et ne peuvent que ressentir du désespoir.
Mais rappelons-nous le contexte du poème de Shelley. La statue du tyran, qui était si sûr de régner éternellement, est retrouvée, comme nous le dit Shelley, à moitié enfouie dans le sable dans un coin obscur – « Il ne reste rien d’autre », écrit Shelley. « Autour de la ruine colossale, sans limite et nue, s’étend à perte de vue le sable solitaire et plat. »
Les tyrans tombent. Leurs œuvres, leurs monuments grandioses – et leurs mensonges – finissent par s’effondrer ou sont démolis.
Nous en voyons actuellement les signes aux États-Unis. La cote de popularité de Trump est au plus bas et ne devrait que se détériorer à mesure que les Américains ressentent les effets néfastes de sa politique économique inepte. Des manifestations éclatent dans tout le pays. Des millions de personnes y ont pris part, moi y compris.
La destruction métaphorique de l’édifice honteux construit par l’escroc qui siège à la Maison-Blanche et ses acolytes aura lieu, ce n’est qu’une question de temps. Je me sens frustré quand je pense que 38 ans de mon travail ont été anéantis par un homme d’une telle médiocrité et d’une culture inexistante. Mais je me souviens alors de deux choses : premièrement, Trump n’a pas agi seul. Il a été soutenu par des personnes riches et puissantes, bien plus intelligentes que lui, qui veulent modifier fondamentalement ce qu’est mon pays.
Deuxièmement, je me souviens que défendre un principe constitutionnel important comme la séparation de l’Église et de l’État n’est jamais un fardeau. En fait, c’est un honneur, c’est un privilège. J’ai eu la chance de le faire pendant si longtemps. Il existe des façons bien moins pleines de sens de passer sa vie.
Et je tiens à être clair sur un point : au cours de mon parcours, le soutien d’amis comme vous, membres de la communauté internationale, a été inestimable, et je vous en remercie. Je vous ai souvent côtoyés ici à Paris au cours des 23 dernières années. Il m’est arrivé, après nos réunions, de me demander : « Dois-je vraiment y retourner ? » Mais je me suis alors souvenu que l’Amérique n’appartient pas à Donald Trump, aux ploutocrates ou aux extrémistes religieux qui l’ont élevé au-dessus du Jésus qu’ils prétendent suivre. L’Amérique est une idée. Une bonne idée. Une idée qui vaut la peine d’être défendue.
À l’heure actuelle, une bande de personnes mesquines, malveillantes et malfaisantes tient l’Amérique dans un étau mortel et espère l’étrangler jusque à ce que mort s’ensuive. Les honnêtes citoyens américains leur arracheront les mains. Et une fois que nous y serons parvenus, nous nous attellerons à la difficile tâche de reconstruire notre démocratie, notamment en consacrant le caractère laïque de l’État.
Mais alors que je m’adresse à vous aujourd’hui, conscient de la réalité à laquelle nous sommes confrontés aux États-Unis, j’ai une tâche qui n’est pas agréable, mais qui est nécessaire : puisque les États-Unis abandonnent leur rôle de soutien et de défenseur d’un gouvernement laïque, il est important que d’autres nations prennent le relais et assument ce rôle. Ceux d’entre vous qui représentent des pays où le gouvernement laïque est protégé – et je m’adresse en particulier à vous, mes amis français – doivent défendre avec audace et sans s’excuser les principes de l’État laïque. Et quel moment idéal pour nous consacrer à nouveau à ce principe essentiel alors que nous nous réunissons dans cette belle ville pour célébrer les 120 ans de la laïcité française.
Vous avez votre mission. Maintenant, mes amis, allez de l’avant et, dans l’esprit de James Madison, enseignez au monde entier.
Robert Boston
Conseiller principal
Membre de la rédaction du mensuel Church & State
American United for Separation of Church and State
