Universités, Collège de France : une chape de plomb s’abat sur la recherche en France

Le Collège de France a annoncé le 9 novembre la déprogrammation d’un colloque consacré à l’histoire de la question palestinienne, sous pression de certains médias et organisations pro-israéliennes.

Depuis plusieurs mois, pas une semaine ne s’écoule sans que les autorités officielles et leurs relais médiatiques n’interviennent dans la vie des institutions académiques, pour y imposer une chape de plomb sur la pensée. Souvent, ces interventions consistent à salir des universités, des groupes de recherche ou des personnes en entretenant un ignoble soupçon d’antisémitisme dès lors qu’est programmé un événement un tant soit peu critique envers les exactions génocidaires perpétrées à Gaza. À défaut, tout est bon pour raviver le fantasme complotiste d’une cinquième colonne woke ou « islamo-gauchiste ». Quand cette stratégie de la tension produit un débordement, une bagarre entre individus mal identifiés voire une descente de nervis, on incrimine les établissements. Ceux-ci sont invités à procéder eux-mêmes à l’annulation ou à l’interdiction d’activités scientifiques ou d’événements publics au prétexte que l’ordre public est menacé.

La censure est de moins en moins nécessaire : l’autocensure progresse, et il faut de plus en plus se replier dans les interstices pour continuer à interroger les préjugés racistes, sexistes, pour analyser factuellement des ravages du capitalisme, pour proposer une analyser historique des relations de pouvoir… ou pour mener des recherches scientifiques et techniques impliquant d’accéder à des données qui intéressent les pouvoirs économiques ou militaires. Ce dernier volet de la répression est moins médiatisé que celui qui touche les sciences humaines et sociales, mais il n’est pas moins dangereux.

Le 9 novembre, un palier supplémentaire a été franchi : anticipant sans doute une attaque en règle par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’administrateur du Collège de France a déprogrammé un colloque consacré à l’histoire de la question palestinienne. On pouvait s’inquiéter des menées contre des événements portés par des structures associatives ; on pouvait s’alarmer de voir tel ou tel historien dénigré en place publique ; ici, on assiste à l’annulation pure et simple d’un événement scientifique faisant partie intégrante des missions de la recherche publique : « mesdames et messieurs, vous ne penserez pas, vous ne travaillerez pas ! »

Qui plus est, ce lock down idéologique frappe l’institution française la plus étroitement liée à la notion d’indépendance de la science : le Collège de France, qui a précisément été fondé il y a cinq siècles pour permettre aux savants désireux d’étudier l’histoire et les langues du Moyen-Orient de le faire à l’abri de la censure et de l’intimidation par les inquisiteurs. Un exécutif qui se propose de panthéoniser Marc Bloch laisse aujourd’hui intimider son établissement par quelques nervis et par une presse aux ordres. Un gouvernement qui n’a que les « principes de la République » à la bouche ne demande qu’à emboîter le pas à Napoléon le Petit qui fit taire Michelet et Quinet. Le symbole est lourd, et il doit réveiller celles et ceux qui se bercent d’illusion sur l’autoritarisme en marche.

La Fédération nationale de la Libre Pensée et l’Institut de Recherches et d’Études de la Libre Pensée adressent leur plus solennel soutien au professeur Henry Laurens, qui se voit traîné dans la boue et empêché de travailler comme il le voudrait par les séides du pouvoir.

Il est temps de s’unir pour la poursuite de la vérité, pour la liberté des sciences, pour les Lumières. La Libre Pensée prendra sa part à ce rassemblement pour la raison, la critique et la liberté académique. Elle appelle toutes les personnes et organisations partageant ce combat à agir ensemble contre ce nouvel obscurantisme.