Septembre 2017, Journée internationale de la Libre Pensée
Intervention devant la colonne des Martyrs de 1830, Nantes, le 16 septembre 2017
Nous nous trouvons devant le monument qui commémore les 10 victimes nantaises du 31 juillet 1830. Une histoire d’ordonnances, déjà !
Devant l’impopularité de son pouvoir et sa volonté de rétablir son autorité dans le royaume, Charles X, après avoir tenté une première fois, deux ans auparavant, imposa en 1830 les fameuses ordonnances qui allaient mener à la « Révolution de Juillet » qu’on appelle aussi les « 3 Glorieuses », principalement à Paris et à Nantes.
Ces ordonnances, d’une véritable brutalité, portaient atteintes aux libertés pourtant fraichement acquises. On trouvait ainsi dans ces mesures par exemple :
- la suppression de la liberté de la presse, en exigeant une autorisation préalable avant toute publication ;
- la dissolution pour la seconde fois en 70 jours de la chambre des députés, bien entendu défavorable à Charles X ;
- l’instauration d’un régime censitaire qui donnait le droit de voter aux seuls propriétaires et usufruitiers ! Pour exemple, sur les 80 000 nantais de l’époque, seuls 580 pouvaient le faire !
A la suite de la parution de ces ordonnances le 25 juillet, Paris connut un soulèvement populaire, les 27, 28 et 29 juillet, entraînant la mort d’environ deux cents soldats et huit cents manifestants. Les nouvelles des ordonnances et du soulèvement parisien ne furent connues que le 29 juillet à Nantes, notamment par le journal de Victor Mangin (« L’ami de la Charte » devenu plus tard « Phare de Loire »).
Tout au long de la journée du 29 juillet, la tension monte à Nantes et des rassemblements spontanés d’ouvriers et de jeunes libéraux s’organisent notamment le soir au moment du spectacle, vers 18h, devant les portes du Théâtre de la ville, place de la Comédie, Graslin aujourd’hui. Il s’ensuit des échauffourées avec les forces de l’ordre et celles-ci arrêtent une quinzaine de manifestants. Les registres de la police d’alors mentionnent : deux serruriers, deux boulangers, un capitaine, deux commis-négociants, un horloger, un tonnelier, deux menuisiers, un poêlier, un tailleur, un scieur de long, un tailleur de pierre, et un terrassier qui furent mener à la prison du Bouffay.
Colère des manifestants qui dès le lendemain matin apprirent de surcroit l’arrivée possible de 200 cuirassiers. Ils commencèrent à s’organiser et on reconnaît dans ces organisateurs Ange Guépin qui décida de couper une des arches du pont de Pirmil afin d’empêcher les troupes armées de pénétrer dans la ville. Nantes se fleurit alors de multiples barricades et la place de la Bourse devint le quartier général des émeutiers.
On chercha alors à libérer les hommes emprisonnés la veille, en vain, et à la fin de cette journée du 30 juillet c’est vers la place Louis XVI que les groupes convergent, exactement vers l’Hôtel-d ’Aux dans lequel s’étaient réfugiés le maire, le préfet, ainsi que le Général Despinois commandant les forces armées.
Un historien raconte :
« Ils se retrouvèrent alors sur la Place Louis XVI face à un piquet de gendarmerie à cheval ainsi qu’à un détachement de cent vingt soldats du 10e régiments rangés devant l’Hôtel, avec lesquels ils ne tardèrent pas à sympathiser, les militaires se montrant même compatissants envers la foule mécontente. C’est alors que soudainement, un coup de feu, tiré dont on ne sait ni d’où ni par qui, se fit entendre, suivi d’une seconde détonation, déclenchant aussitôt les tirs des forces armées. Chaque camp s’imaginant être attaqué par l’adversaire, l’affrontement tourna immédiatement à la fusillade générale. Il est à noter ici le courage dont firent preuve les civils présents Place Louis XVI, qui au lieu de s’enfuir pour sauver leur vie, préférèrent rester se battre pour leur liberté.
Comme on peut le penser, le résultat fut dramatique, puisque on totalisa du côté des soldats, six tués et dix-huit blessés et du côté des civils, quatre tués et quarante-cinq blessés dont six succombèrent quelques jours plus tard à leurs blessures et dont huit resteront malheureusement estropiés toute leur vie. »
Ce sont ces 10 victimes que la colonne glorifie.
Je ne rentrerai pas dans les détails de l’histoire de ce monument, des difficultés financières pour sa construction, de son esthétique ni de son emplacement dans ce cimetière alors que des endroits « plus visibles » auraient été préférables et avaient été avancés. Par exemple et en toute logique place Louis XVI ou la fusillade eut lieu, voire place royale…
Ange Guépin quant à lui, devant l’apparence trop peu gracieuse à son goût du monument écrivit :
« Quel progrès avons-nous accompli dans ce genre de constructions ? N’est-ce pas une chose étrange que les chrétiens, les spiritualistes exclusifs de notre époque, soient si matériels et si fort en arrière du Moyen-âge, et n’est-il pas permis, en voyant partout les preuves de l’épuisement des doctrines qui ont donné la vie actuelle à nos sociétés, d’évoquer une pensée nouvelle. Mais revenons au tombeau des morts du 30 juillet. CAMIN, RESEAU, RACINEUX, CHAUVET, DOLBEAU, RIGAUD, ROBERT, POTIN, LASNIER, VORUZ, voilà les noms de ces hommes de cœur qui surent risquer leur tête et braver les supplices pour aider au triomphe de leur cause. »
Quoiqu’il en soit il a fallu rassembler toutes les forces démocratiques et libérales de l’époque pour mener à bien la construction du monument avec l’appui notamment des journaux « Le Breton », « Le journal de Nantes » et bien entendu « L’ami de la Charte » devenu le « Phare de la Loire » en 1851 et alors dirigé par le frère de Victor Mangin, Evariste.
C’est ce même Evariste Mangin qui participa en 1867 avec son journal à la campagne contre la guerre qui menaçait entre la France et la Prusse. Ainsi, le 5 mai 1867, Le Phare publie une « Adresse au peuple allemand », qui appelle à une réconciliation et à la coopération entre les deux peuples. En septembre 1867, Evariste participe ainsi qu’Ange Guépin et Charles-Louis Chassin, deux autres nantais, à la fondation à Genève de la Ligue internationale de la paix et de la liberté, dont les leaders sont Garibaldi et Bakounine. C’est donc une véritable filiation avec la grande révolution de 1789 qui s’exprime ici dans ces 3 Glorieuses en poursuivant et réarmant les combats émancipateurs en France, dans toute l’Europe et notamment en Italie…
L’Association Internationale des Libres Penseurs (AILP) a décidé de faire coïncider son 7ème congrès qui a lieu à Paris, la semaine prochaine avec la journée internationale de la Libre Pensée du 20 septembre (et que nous organisons aujourd’hui 16 septembre à Nantes) autour de Giuseppe Garibaldi. Quoi de plus naturel car si Garibaldi porta le combat pour l’unification et l’émancipation du peuple italien, Il comprit la portée essentielle de la solidarité internationale entre les peuples et du combat internationaliste. Chaque peuple qui combat dans un pays combat pour tous les peuples des autres pays aurait-il pu dire !
Voici ce qu’il écrit notamment, après avoir dénoncé l’état de guerre permanent et appelé de ses vœux une Europe dirigée par un seul gouvernement et un seul parlement, ayant renoncé à ses armées de métier : « [Il n’y aurait] plus d’armées, [il n’y aurait] plus de flottes, et les immenses capitaux, arrachés presque toujours aux besoins et à la misère des peuples pour être dépensés au service de l’extermination, seraient convertis au contraire à l’avantage du peuple dans un développement colossal de l’industrie, dans l’amélioration des routes, dans la construction des ponts, dans le creusement des canaux, dans la fondation d’établissements publics, et dans l’érection d’écoles qui retireraient à la misère et à l’ignorance tant de pauvres créatures qui dans tous les pays du monde, quel que soit leur degré de civilisation, sont condamnés par le calcul égoïste et par la mauvaise administration des classes privilégiées et puissantes à l’abrutissement, à la prostitution de l’âme ou du corps ».
Il n’est pas étonnant que les libres penseurs du monde célèbrent ce combat le 20 septembre comme « un hommage aux hommes et aux femmes qui combattent pour la liberté, l’égalité et la fraternité entre les êtres humains et entre les peuples. Cette date rappelle la prise de Rome en 1870 par les forces de l’unification italienne – parmi lesquelles se sont illustrées les « chemises rouges » garibaldiennes – et a pour signification la chute définitive du pouvoir temporel du pape et de ses régimes politiques de « droit divin ». Elle représente aussi un grand triomphe pour les forces démocratiques, républicaines et laïques du monde. »
Rappelons qu’en 2011, 150 libres penseurs et athées venus de 18 pays, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Argentine, d’Australie, de Belgique, du Canada, du Chili, d’Espagne, de Finlande, de France, d’Inde, d’Italie, du Liban, de Norvège, de Pologne, de Russie, de Suisse, des USA se rencontraient à Oslo et renouaient le lien avec les congrès fondateurs de la Libre Pensée internationale, tenus depuis 1880 (Bruxelles), et en particulier avec le Congrès des libres penseurs de Rome (1904) qui a ouvert la campagne pour la Séparation des Eglises et des Etats dans plusieurs pays.
Il est impérieux, utile et nécessaire de reconstruire et de fortifier, comme va le prouver le congrès de la semaine prochaine, cette organisation internationale qu’est l’AILP face au danger présent partout dans le monde de réinstaller des régimes politiques se voulant de droit divin (ou jupitériens) et surtout des régimes totalement compatibles avec les intérêts capitalistes ce qui signifie autrement dit la régression sociale en détruisant toutes les conquêtes syndicales, politiques et démocratiques de la classe ouvrière dans chaque pays.
Enfin, sur un de ses piliers fondamentaux qu’est l’antimilitarisme et le pacifisme, la Libre Pensée a pris l’initiative dans le cadre de l’AILP de poursuivre au niveau international notre combat effectif contre la guerre, contre toutes les guerres, avec cette déclaration commune internationale : « Pour rendre leur honneur aux milliers de Fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale » reprise à son compte par 15 associations pacifistes, laïques, issues de tous les pays belligérants à l’exception de la Russie.
Vous connaissez notre attachement à ce combat et les initiatives que les 3 groupes de la Fédération de Loire Atlantique portent sur cette question à Nantes, St Nazaire et St Herblain et nous allons encore montrer notre détermination dans cette bataille, cette année au moment des cérémonies du 11 novembre.
Dernier mot. Puisque nous sommes le 16 septembre, il est un triste anniversaire à Nantes. La barbarie n’a pas de patrie mais que de sombres intérêts. Il y a 74 ans, le 16 septembre 1943, 147 forteresses B17 de la 8ème Air Force américaine déversèrent près de 1500 bombes sur Nantes détruisant ainsi tout ou partie du centre-ville, rue du calvaire, place royale, quartier Decré, l’Hôtel Dieu etc. Au total, 1 463 civils ont été tués lors de ces bombardements et plus de 2 500 blessés.
Guerre à la guerre !
Vive la République laïque et sociale !
Vive l’Association Internationale de la Libre Pensée
J-Paul Charaux,
Président de la Fédération des Groupes de Libre Pensée de Loire-Atlantique
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