Déclaration commune
● de l’Institut de Recherches et d’Études de la Libre Pensée
● de la Fédération nationale de la Libre Pensée
● de l’Association internationale de la Libre Pensée
Un vent mauvais souffle sur la liberté de l’enseignement et de la recherche. Aux États-Unis,
Donald Trump et ses alliés, au premier rang desquels Elon Musk, supposé héraut du
rationalisme et de la liberté d’expression, se sont lancés dans une croisade contre les libertés
académiques : intimidation, diffamation, définancements massifs, licenciements sont à l’ordre du
jour, tant dans les universités que dans les laboratoires, tant contre les sciences sociales que contre
la recherche biomédicale. En Argentine, la tronçonneuse de Javier Milei s’apprête à couper net la
majorité des universités du pays, punies pour leur supposée hostilité au régime et vouées à la
faillite si les provinces du pays n’acceptent pas de les reprendre sous leur houlette.
Mais l’Atlantique n’arrête pas ce vent : en Angleterre et au Pays de Galles, une crise
budgétaire délibérément provoquée par les politiques gouvernementales met à genoux les
universités du pays, qui devront se livrer plus encore à des donneurs d’ordre privés, rehausser
encore un peu plus leurs frais d’inscription déjà prohibitifs, et fermer les départements dont les
productions scientifiques ne peuvent pas être captées par les intérêts particuliers.
Le définancement des universités est une attaque contre la liberté académique, dont
l’exercice suppose une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, financiers et religieux, avec
les garanties budgétaires que cela implique. En France, la situation n’est pas meilleure : la
France a connu vingt années de définancement, vingt années aussi de coup d’État bureaucratique
permanent, d’assujettissement à des standards statistiques conçus par des technocrates ignorant
tout de la production et de la transmission des connaissances.
Macron contre la liberté académique
Depuis cinq ans, cette campagne d’étranglement s’accompagne d’une guerre médiatique contre
ceux qu’Emmanuel Macron qualifiait en juin 2020 « d’universitaires coupables » qui « cassent la
République en deux » : la science, c’est l’anti-France. Dès 2020, la Libre Pensée a dénoncé cette
chasse aux sorcières digne des croisades de l’entre-deux-guerres contre le « bolchévisme
culturel ».
Les ministres Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont largement repris cette
antienne, relayée sur les chaînes d’information en continue par divers éditorialistes cléricaux ainsi
que par quelques renégats de l’universalisme, promouvant un athéisme bourgeois, autoritaire et
fermé à la contradiction : un athéisme contre la science. En leur temps, la Libre Pensée avait
expressément dénoncé cette chasse aux sorcières.
La situation dure et s’aggrave au point que de nombreux universitaires sont aujourd’hui
intimidés et menacés par des groupuscules chauffés à blanc par cette rhétorique anti-académique.
La dernière affaire en date, en février 2025, a vu une universitaire de Toulon (Var) bénéficier de la
protection fonctionnelle de son université face aux menaces de nervis d’extrême-droite, tandis que
le gouvernement se refuse à intervenir pour défendre ses fonctionnaires.
Science et rationalité, au cœur de la crise démocratique
Telles Trump, Musk ou Milei, les classes dirigeantes françaises, radicalisées dans leur
logique de guerre, s’épanchent à longueur de journées contre la science et contre la liberté
académique. L’idée même que la dispute argumentée puisse être soumise à d’autres normes que
celle d’un clash sur les réseaux sociaux est une menace pour leur mainmise. Nous avons déjà
expliqué qu’en France en particulier, le césarisme électif connaît aujourd’hui une période de crise
paroxystique, dont il tente de s’extraire par la radicalisation – ce qui vaut à la France de
nombreuses mises en garde contre la restriction des libertés publiques.
Cette crise paroxystique va de pair avec un réveil démocratique et l’avènement d’une
nouvelle culture politique, dont la gestation se nourrit des savoirs partagés, remis en débat,
interrogés ; elle se nourrit aussi de la volonté de décider librement, c’est-à-dire en se faisant son
idée par soi-même, par l’information, l’éducation, la méthode. Pour le dire autrement : elle se
nourrit du libre examen et d’une démarche libre-penseuse (qu’elle ne se définisse pas toujours
dans ces termes ne change pas grand-chose à l’affaire).
Cette démarche tâtonnante reproduit à l’échelle individuelle celle de la recherche
scientifique ; la recherche scientifique, en retour, peut nourrir le nouvel espace public
démocratique en gestation. Elle peut le nourrir de contenus, elle peut le nourrir d’une méthode,
elle peut enfin le nourrir d’un courage : le courage de douter, d’écouter, de partager. La Libre
Pensée est l’organisation qui promeut ce courage, et qui défend l’idée qu’il y a un pacte entre la
démocratie et la science. Sans ce pacte, il n’y a pas de liberté académique. Non seulement la
science peut concourir au renouveau démocratique, mais elle le doit. La république des savants est
la répétition générale de la démocratie réelle. Mais elle en est aussi la condition préalable, et c’est
bien cela qui lui vaut la vindicte de tous les Jupiters de la finance.
La Libre Pensée a payé assez cher pour le savoir : l’interrogation critique illimitée est
odieuse à tous les pouvoirs tentés par l’absolutisme. Aucune caste engagée dans une fuite en
avant autoritaire ne supportera l’idée d’une quête lente, inquiète, contradictoire et pluraliste par
laquelle cheminent des gens que ne relient aucun intérêt immédiat, si ce n’est la poursuite de la
vérité.
La guerre française contre l’Université et la recherche
La nouvelle vague de prédation de l’État français par les intérêts privés s’est accompagnée
d’un tour de vis bureaucratique, qui noie les citoyens et les agents publics sous une montagne de
formalités et de dispositifs normatifs étrangers aux missions d’intérêt général que les services
publics doivent accomplir. Que cet assujettissement à des normes absurdes se fasse généralement
au nom de la simplification ajoute une dose supplémentaire de cynisme à cette potion déjà
fortement antidémocratique. Cela est vrai de tous les services publics français, mais à part
l’hôpital, aucun n’est allé aussi loin dans le mélange de dérégulation et d’hyperbureaucratisation
que le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Depuis vingt ans, étape par étape, la prédation de l’université et de la recherche par les
intérêts financiers avance : dans le rêve des « réformateurs », une majorité d’universités
paupérisées, délabrées et saturées accueilleront le rebut des écoles privées lucratives appartenant à
de grands groupes dirigés – qui s’en étonnera encore ? – par d’anciens ministres et autres recteurs.
Dans le même temps, quelques universités d’excellence formeront des « clusters » « innovants » et
« compétitifs » capables de vendre leurs diplômes à prix d’or sur un marché des frais d’inscription
dérégulés, tout en multipliant les partenariats scientifiques avec le secteur industriel.
Dans un tel programme, il n’y a pas de place pour le principe de coopération et d’ouverture
qui sous-tend l’exercice de la liberté académique. Il n’y a pas de place non plus pour une
institution-clef de la politique scientifique de la République : le CNRS, qui est aujourd’hui, en
partie contre la volonté de ses dirigeants, le principal trait d’union entre des universités que tout
doit opposer.
C’est à cette aune qu’il faut comprendre le salto mortale de la direction du CNRS, qui a tenté
d’imposer la scission de ses activités entre un secteur définancé, représentant 75 % des
laboratoires, et un secteur d’élite, les keylabs (25% de l’ensemble), gardant l’accès aux subsides du
CNRS. La mobilisation des scientifiques et universitaires a été suffisamment forte pour
contraindre les « réformateurs » à une pause tactique, un « moratoire », destiné à leur offrir la
possibilité de diviser les opposants en retournant certains d’entre eux. Les efforts du
gouvernement devraient se concentrer sur les présidences des grands centres universitaires de
province, qu’on achètera en leur promettant quelques keylabs de plus, qu’il sera toujours temps de
leur reprendre dans quelques années.
Nul n’est dupe, et nul ne doit l’être. Par ce recul tactique, le combat pour la liberté
académique vient de remporter une première victoire symbolique, qu’il faut maintenant convertir
en victoire politique réelle :