Les envahisseurs catholiques
Le forum social mondial a une nouvelle fois réuni le petit monde de « l’alter mondialisme ». C’était au Brésil, début mars 2018.
Bien sûr, ceux qui prétendaient en faire à l’origine un anti Davos ne disposent plus de la couverture médiatique providentielle des débuts.
Il n’empêche que le rassemblement des « alter-pluriels » à la recherche d’une alter mondialisation à visage humain continue. Comment expliquer ce miracle ? Quelle en est l’origine ?
A cette dernière question, autant laisser la parole à un spécialiste :
Francisco Whitaker, dit Chico, est une des figures les plus connues et les plus symboliques au sein du mouvement altermondialiste. Un des fondateurs du FSM à Porto Alegre, il continue d’être un des principaux animateurs du Conseil international qui organise ces forums.
Au retour de Mumbai (Bombay) en 2005, il a accepté de raconter les grandes étapes d’un itinéraire personnel particulièrement mouvementé et de tirer avec nous les principaux enseignements de ce forum.
Mouvements : Votre nom est connu parmi les militants altermondialistes comme un des fondateurs du Forum social mondial de Porto Alegre et comme un des principaux animateurs du Conseil international du FSM, mais peu savent que vous êtes également un responsable important de l’Église brésilienne, tout en étant un laïc et non un prêtre. Quel itinéraire a bien pu vous conduire sur ce double chemin ?
Chico Whitaker : Ce fut un long chemin car j’ai aujourd’hui 72 ans et je compte au moins 52 années d’activité publique puisque je me suis engagé dans les Jeunesses catholiques et qu’une fois à l’université, je suis devenu président des Jeunesses étudiantes catholiques. Dès cette époque je me suis trouvé fortement engagé dans les problèmes sociaux.
C’est ainsi que, par exemple en 1954, la question sociale au Brésil est devenue le thème central de notre programme de travail. Nous étions tous alors fortement influencés par un théologien français, le Père Lebret, un dominicain fondateur du mouvement Économie et humanisme, qui avait développé la notion du « péché social », celui de l’omission devant la misère, les inégalités et qu’il considérait comme nettement plus grave que n’importe quel autre péché… (1).
« Chico » nous parle de son mentor, le Père Louis-Joseph Lebret, en se gardant bien d’en préciser le pédigrée, un oubli très révélateur.
Il s’en vante en avril 1943, à l’occasion des « Journées du Mont-Dore » organisées par le gouvernement de Vichy. A cette époque-là, après le débarquement allié en Afrique du Nord et Stalingrad, le sort des armées du IIIème Reich semble bien définitivement scellé. Pas pour Lebret qui continue d’y croire.
Il y est missionné par Monseigneur Gerlier, auteur de la formule célèbre : « Pétain, c’est la France, la France, c’est Pétain ». Gerlier lui suggère d’être discret, conseil avisé, mais non suivi d’effets.
Au Mont-Dore, on parle communauté, famille entreprise, jusque… la très sainte « communauté européenne », et bien sûr, du bien commun. Lebret y est comme un poisson dans l’eau. Un compte rendu détaillé de ces journées héroïques est à consulter dans : « vers la révolution communautaire, les journées du Mont-Dore, 10-14 avril 1943 » (Séquana Paris, 1943, 200 pages).
Lebret et ses amis entendent « briser les résistances ». Les 200 participants adoptent les 14 principes communautaires.
Le 1er stipule : « L’homme tient de la nature ses droits fondamentaux, mais ceux-ci ne lui sont garantis que par les communautés qui l’entourent : la famille qui l’élève, la profession qui le nourrit, la nation qui le protège ». La profession, l’entreprise, « ne se développe que par l’action solidaire des personnes qui la composent. Les membres de l’entreprise administrent conjointement les œuvres communautaires au sein de l’entreprise ». Au-dessus de l’entreprise, règne l’Etat, « arbitre du bien commun ».
Une commission intitulée « les réalisations communautaires » entend le témoignage du Révérend Père Lebret
Oui mais voilà, le IIIème Reich s’écroule. Il faut donc, en conservant la perspective, s’adapter.
Mais, d’abord, dans l’urgence, se faire un peu oublier. D’où quelques saintes pérégrinations en Amérique du Sud, là où, Dieu soit loué, l’ordre chrétien social s’exprime en toute liberté : Brésil, Argentine … En Argentine, c’est le temps béni du péronisme dont toute l’action s’inspire des pieuses encycliques très sociales, « rerum novarum », bien sûr, mais surtout, « quadragesimo anno », celle qui bénit, en 1931, le fascisme mussolinien.
Lebret, qui avait des idées dans tous les domaines en avait aussi sur les questions économiques. En pleine guerre, il avait fondé, dans le prolongement de l’école de formation des « cadres » de Vichy (Uriage) le groupe « Economie et humanisme » avec l’aide du petit génie François Perroux, apôtre lui aussi des « communautés » dont les œuvres, elles aussi, étaient recommandées par les services de propagande du IIIème Reich. Après-guerre, comme par miracle, le gentil « humaniste » Perroux s’est lui aussi découvert une passion subite pour le « tiers monde » et ses innombrables malheurs, malheurs par ailleurs incontestables.
Notre ami révolutionnaire « Chico » rappelle les responsabilités particuliers des dominicains. Il n’a pas tort. Historiquement, les dominicains sont le bras armé de l’inquisition. Leur plus illustre représentant, Thomas de Torquemada est désigné inquisiteur général en 1483.on ne peut ici relever toute leurs exactions, ce serait bien trop long.
Ces gens-là ne peuvent plus torturer, ni brûler les mal pensants. Mais leur capacité de nuisance reste considérable.
Avec Lebret, ils ont pris un virage tiers-mondiste destiné à leur conférer une image plus fréquentable.
Lebret est ainsi directement à l’origine de l’encyclique Populorum progressio de 1967, attribuée abusivement au pape Paul VI. Il s’agissait, après Vatican II, d’actualiser une nouvelle fois, les deux encycliques « sociales » citées précédemment.
Rien de bien nouveau, – forcément – sur le fond : le monde serait séparé en deux blocs : au Nord, les riches, les nantis, les « égoïstes » qui s’éloignent des saints principes et, au Sud, les pauvres, les malheureux, les exclus … et tout le monde l’a bien compris, s’il y a des pauvres, des malheureux et des exclus, c’est la faute, aux riches, aux nantis, aux égoïstes, aux fonctionnaires, aux retraités, aux cheminots … dont il faudra bien un jour comme l’avait si bien éructé le bon abbé Pierre, « casser la gueule ».
Cette idéologie parfaitement réactionnaire est à la base des forums sociaux.
Les corps francs de l’Eglise catholique (dominicains ou jésuites) savent s’adapter à toutes les situations : Chico et ses amis ont adopté leur stratégie aux rapports de force réels.
Illustration :
Question : Était-il difficile pour un catholique de travailler dans ce parti (le parti des travailleurs du brésil) dont une large part avait une tradition marxiste ?
Chico Whitaker : Non, le PT (parti des travailleurs) repose sur trois racines : une composante syndicaliste dont l’emblème était Lula, une composante de formation marxiste ou trotskiste qui avait lutté les armes à la main contre la dictature, enfin la troisième composante ce sont les Communautés de base lancées par l’Église brésilienne.
Au brésil comme en France, les cléricaux se battent pour faire prévaloir la suprématie de leur doctrine totalitaire.
Ainsi, ils pénètrent les organisations ouvrières pour les transformer en leur contraire. Pour arriver à leurs fins, ils sont parfaitement capables d’adopter des discours, des postures qui peuvent impressionner les plus naïfs. On l’a bien vu en mai 68. Ce n’est certes pas nouveau. Raison de plus pour ne pas tomber dans le panneau.
Un brin de discours « anti capitaliste » – dont on a grand soin de ne fustiger que les « excès -, une grosse touche verte, (le précédent « forum » en avait appelé à la justice climatique !) dans le prolongement de l’encyclique intégralement « verte » du pape François, un brin de discours larmoyants à destination des « exclus », pour culpabiliser les « nantis », ceux qui ont – encore, pour l’instant – droit à une retraite, à la sécurité sociale, à des services publics efficaces … et le tour serait joué ?
Allons donc ! Pas plus les corporatistes du Maréchal que ceux du XXIème siècle ne nous feront prendre des vessies pour des lanternes. En 1943 comme en 2018, « écrasons l’infâme » !
Mars 2018
(1) Interview complète de « Chico » : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2004-2-page-161.html