La question mérite d’être posée, quand on voit tous les Jeudis à 18 h des millions de citoyens français devant leurs postes de radio ou de télévision, attendant de savoir ce qui leur sera interdit et ce qu’ils pourront faire dans les jours suivants, y compris dans leur vie quotidienne…
Quelques rappels sur l’actualité:
– La France n’est plus depuis longtemps gouvernée par les (supposés) représentants du peuple, l’Assemblée Nationale, même plus par le Gouvernement, mais de fait aujourd’hui par un petit marquis, mercenaire des banques, élu en 2017 par 17 % du corps électoral, suite à un « dégagisme » généralisé à l’encontre de tous les gouvernants des périodes antérieures.
– Ce « prince-président » réunit périodiquement pour prendre ses décisions un « Conseil du Roi », sous la forme d’un « Conseil de Défense », sans ordre du jour public ni compte-rendu, issu d’un détournement institutionnel. En effet, le caractère confidentiel du vrai « Comité de défense », autorisé en temps de guerre, est dû aux éventuels espions de « l’ennemi » ; mais le virus, nouvel ennemi, contre lequel nous sommes « en guerre », n’ a pas d’oreilles…
– La souveraineté de la France est depuis le Traité de Maastricht dépendante, subsidiaire, des directives d’une Commission Européenne non élue.
– De toutes façons, ces gens-là sont aux ordres des marchés financiers, et n’ont donc que faire ni des citoyens ni de la démocratie. En caricaturant à peine, la seule chose qui les intéresse, et qu’ils ont appris à faire, est de prendre ce qui reste dans nos poches pour tout donner aux banques et aux marchés. Quand le Gouvernement actuel a été installé, les commentateurs politiques avisés ont bien noté que son objectif principal était la réélection du monarque en 2022, et si possible la mise en place des contre réformes en particulier sur les retraites et l’assurance chômage (en cours..). Ces deux objectifs sont d’ailleurs liés, car la confiance des banques dans leur candidat sortant dépendra des lois de régression sociale qu’il aura été capable de faire voter et appliquer.
– Ajoutons au tableau que tous les médias importants sont la propriété directe ou indirecte du Gouvernement et/ou des milliardaires actuels.
Quelques rappels historiques :
– La République est historiquement un État de droit avec des responsables élus non héréditaires. La démocratie est une forme de Gouvernement républicain où les citoyens, directement ou via des représentants élus, prennent les décisions importantes qui les concernent. On peut résumer les caractéristiques d’une République démocratique notamment par les droits politiques des citoyens, l’égalité de ces droits pour tous, les libertés effectives de conscience, d’expression, de manifestation, d’association, syndicales, ce qui inclut la séparation des Églises et de l’État et une école publique laïque. C’est la conception traditionnelle, au moins en France.
– En France la Première République, instituée en 1792, a créé la notion de citoyen et d’Assemblée des élus du peuple ; elle n’a pas jugé utile de prévoir une présidence. En fait le premier président de la République, après la période dite de la Restauration, a été Louis-Napoléon Bonaparte, de 1848 à 1852. Mais, appuyé sur la « société du 10 Décembre », il a ensuite fait un coup d’État pour instaurer le Second Empire.
Il serait d’ailleurs intéressant de comparer cette période à celle d’aujourd’hui…
La République Française, avec son contenu social et démocratique, est donc depuis 1792 un enjeu social. L’histoire de la IIIème République, avec ses différentes phases, le montre bien. On ne peut parler de République que si on précise son contenu à chaque moment.
C’est la IIIème République, entre 1879 et 1905, qui a voté et instauré les grandes lois démocratiques qui ont plus ou moins survécu jusqu’à maintenant, mais qui sont désormais gravement menacées, en particulier :
– les lois scolaires de 1881 et 1882 (Jules Ferry) et de 1886 (Goblet)
– les lois sur le divorce (Naquet, 1884), sur la neutralité les cimetières (1881, 1884, 1905), etc..
– la loi sur les syndicats de 1884
– le loi sur la liberté de la presse de 1881
– la loi Waldeck-Rousseau de 1901 sur les associations
– la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État.
Depuis 1905, les libertés en France n’ont fait que reculer. Si l’État français de Pétain a suspendu la République, nombre de ses décisions sont encore appliquées aujourd’hui. En particulier, la Cinquième République, taillée pour de Gaulle, a remis en cause la démocratie parlementaire, avec une Constitution que François Mitterrand avait qualifiée de « Coup d’État permanent ».
Ce n’est pas par hasard si :
– les journalistes parlent volontiers du « Chef de l’État » au lieu de « Président de la République ».
– plus personne ne s’étonne d’entendre le « Chef de l’État » ou un ministre dire qu’il va faire une loi pour ceci ou cela. C’est dans la nature de la Cinquième République.
Où en étions nous avant l’arrivée d’Emmanuel Macron ?
– Depuis 1958, l’Assemblée Nationale est le plus souvent majoritairement formée de « godillots », même si la machine grince souvent. Les députés sont élus sous étiquette politique et bien peu se soucient de l’avis de leurs électeurs lors des votes. Paradoxalement, les MPs britanniques (Members of Parliement) sont beaucoup plus proches de leurs électeurs. On le voit bien quand on compare leurs comportements respectifs après les votes français sur la Constitution Européenne et britanniques sur le Brexit. Le Parlement britannique, formé d’une très large majorité de MPs opposés individuellement au Brexit, a décidé de tenir compte du vote des électeurs, même si cela n’a pas été simple pour eux.. Et c’est une monarchie…
– Le pouvoir des Conseils municipaux, structures souvent proches des citoyens, a été largement diminué, avec transfert des décisions aux Préfets ou à des « Communautés » éloignées des électeurs. Les Maires ne sont plus que les exécutants d’une politique qui se décide au-dessus d’eux ; ils en ont de plus en plus assez de recevoir des plaintes de leurs administrés sur des sujets qu’ils ne maîtrisent plus. Naturellement, certains sont plus à l’aise que d’autres dans la subsidiarité…
Quelles sont les menaces actuelles sur la démocratie et sur la République ?
– Les menaces sur la République elle-même sont indirectes. Les décisions unilatérales du monarque sont pour l’instant généralement assorties de lois ou de décrets. Il y a bien sûr des exceptions, par exemple des lois appliquées par anticipation ou bien jamais appliquées, mais la forme légale est le plus souvent respectée et les Conseils (d’État et Constitutionnel) donnent leurs avis.
On ne peut naturellement pas exclure qu’une nouvelle « Société du 10 Décembre » cherche à faire nommer le prince-président actuel comme nouvel Empereur, par exemple Napoléon IV (ou Emmanuel 1er). Mais l’impopularité actuelle du monarque et des dirigeants politiques est telle que l’opération serait vouée à l’échec.
– En revanche les reculs de la démocratie sont nombreux en ce moment. A ce qui a déjà été mentionné plus haut, on peut ajouter les attaques actuelles contre la liberté de conscience, d’expression, de presse, de manifestation, etc. .. incluses dans les lois liberticides en « discussion » en ce moment.
L’analyse de ces textes a été largement faite, et il ne paraît pas nécessaire d’y revenir. En revanche, un aspect essentiel semble largement échapper à nos contemporains, c’est le caractère anti-républicain de la campagne du pouvoir actuel qui prétend imposer « les valeurs républicaines ».
Le « projet de loi « confortant les principes républicains » :
C’est toujours au nom de la défense de la République qu’on attaque la République, au nom de la laïcité qu’on attaque la laïcité, au nom de la démocratie qu’on attaque la démocratie.
Le projet de loi « confortant les principes de la République » (anciennement « contre le séparatisme ») le confirme une fois de plus.
Ce projet de loi entretient une fois de plus la confusion volontaire entre le respect de la loi et l‘accord de chacun avec la loi. En République, les citoyens doivent respecter les lois, mais ils ne sont pas tenus d’être d’accord avec elles.
Non, la République n’est pas un ensemble de personnes qui partagent les mêmes valeurs. C’est un ensemble de citoyens qui ont les mêmes droits, indépendamment de leurs opinions, donc de leurs « valeurs personnelles ». Cela s’appelle la liberté de conscience. C’est à ça qu’on reconnaît une République : ceux qui ne partagent pas les « valeurs de la République » ont les mêmes droits que ceux qui la partagent. La liberté de conscience ne se limite pas à ceux qui partagent la conception des « valeurs de la République » du Gouvernement en place.
Relisons Condorcet : pour permettre le maintien de la République dans une société diverse il faut que l’État crée partout des écoles publiques dans lesquelles l’enseignement sera basé sur la raison et sur la science. Mais la liberté de conscience dans l’égalité des droits impose que ces écoles publiques ne soient pas obligatoires. D’où la liberté d’enseignement, la possibilité d’écoles privées ou d’école à la maison, évidemment sans aucune subvention publique pour ces enseignements concurrents de l’école républicaine. La République doit se défendre contre les attaques, mais elle le fait dans le domaine de l’éducation par le contrôle des contenus, contrôle qui s’applique aux écoles publiques et privées et à l’école à la maison. Les éventuels élèves non recensés, éventuellement soumis à des écoles sauvages, ne peuvent exister que si le Gouvernement a supprimé ou diminué ces contrôles par souci d’économie.
Condorcet explique que l’école publique doit présenter la Constitution et les lois, mais pas comme éternelles et incontournables. L’école doit former l’esprit critique des futurs citoyens, pour qu’ils soient capables de comprendre les lois, de s’en faire une opinion, d’être d’accord ou pas, afin éventuellement plus tard de chercher à les améliorer.
La conception du Gouvernement Castex, à travers ce projet de loi, est très différente. En caricaturant un peu pour faire comprendre, il considère que ceux qui ne sont pas d’accord avec le Gouvernement, c’est-à-dire avec la conception qu’a le Gouvernement des « valeurs de la République » sont des islamistes radicaux ou leurs complices.
Cette attitude va très loin, jusqu’à stigmatiser les jeunes élèves qui n’obéissent pas à la lettre aux discours ou aux consignes nationales.
Cette orientation totalitaire n’est pas nouvelle. Déjà elle était présente dans la « Charte de la Laïcité » de 2013, à afficher dans toutes les écoles, dont la phrase en exergue était : « La Nation confie à l’École la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République ». C’est l’inverse d’une conception républicaine, où la liberté de conscience permet à chacun d’avoir les idées qu’il veut, y compris sur les « valeurs de la république ». Imposer une orientation à tous les élèves est totalitaire et anti laïque ; il s’agit là d’une idéologie d’État. Le problème supplémentaire est que c’est cette idéologie d’État anti-républicaine qui est imposée à tous.
Ce projet de loi est naturellement en parfaite cohérence avec les autres lois liberticides et les décrets du 2 Décembre 2020, qui visent à ficher les citoyens en fonction de leurs opinions, entre autres via les drones et la reconnaissance faciale de la loi dite de « sécurité globale ».
En République, on a le droit de ne pas partager les « principes républicains » ; avec ce texte, ceux qui ne se soumettent pas à l’idéologie officielle n’auraient plus le droit à l’expression publique. Le droit de s’exprimer est réservé à ceux qui partagent la conception gouvernementale actuelle des « principes républicains ».
Défendre la République, ce n’est pas pourchasser ceux qui ne la défendent pas, c’est permettre à tous et à chacun de pouvoir s’exprimer publiquement, quelle que soit son opinion, dans la cadre de l’ordre public ; la seule limite du droit d’expression est de ne pas agresser les autres citoyens.
La République, c’est le respect des lois. Le respect des principes, c’est l’idéologie d’État.
Répétons : on doit appliquer et respecter les lois, mais on a le droit de ne pas être d’accord avec elles. Ceux qui sont contre la République (les royalistes par exemple) ont autant de droits que ceux qui en partagent les principes. C’est ça qui distingue la République de la dictature.
« La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement » (Rosa Luxembourg).
Le projet de loi vise entre autres à modifier la loi de 1905, sous prétexte de la « moderniser », ce qui ne veut rien dire. Remarquons d’abord que la loi de 1905 prévoit déjà l’interdiction des discours séditieux dans les lieux de culte. Mais plus profondément : qu’est-ce qui justifie cette « adaptation aux temps présents », à part le fait que la démocratie sous la Vème République n’a rien à voir avec celle sous la IIIème ? Il y avait déjà des attentats dans le passé, notamment celui de Jaurès en 1914…
Le projet de loi vise également à modifier la loi Waldeck-Rousseau de 1901 sur les associations, par la création de droits différents entre celles qui se déclareront d’accord avec le Gouvernement sur les soi-disant « valeurs de la République » et les autres, qui voudront continuer à être indépendantes des Gouvernements.
La réponse à notre question. Suite à cette analyse, nous pouvons répondre à la question posée dans le titre :
– Oui nous sommes encore en République, et nous le resterons tant que le rapport des forces empêchera le passage à un Troisième Empire.
– Quant à la démocratie, sa défense est une priorité d’aujourd’hui, contre l’adoption et l’application des lois liberticides. Il nous faut défendre ce qui reste des droits et libertés instaurés notamment pendant la IIIème République, et qui conditionne le maintien des acquis sociaux. Là est l’enjeu prioritaire.
Roger Lepeix, le 03 mars 2021