Note de lecture
Dans ce nouvel opus, notre ami et camarade Jean-Marc Schiappa réussit un double score : toujours se renouveler sur un sujet qu’il a souvent bien et longuement traité et nous faire vivre ces moments révolutionnaires si intenses, et souvent, selon l’expression populaire « on s’y croirait » vraiment et cela suscite l’intelligence de la réflexion sur ce qu’il aurait fallu faire, si on avait été de la mêlée. Et rassurons les « âmes inquiètes » s’il y en avait, on parle bien de Gracchus Babeuf dans cet ouvrage consistant et prenant. Ce qui est très intéressant est de voir comment, dans une situation chaotique, malgré toutes les contradictions, les avancées et les reculs, on va passer d’un pays qui ploie sous les servitudes et les pesanteurs de l’Ancien-Régime à un pays moderne qui va sortir de la nuit. L’auteur indique la situation de départ : 34 généralités ou provinces, 40 gouvernements militaires, 135 diocèses, 13 parlements judiciaires, 5 juridictions diverses de perception de l’impôt sur le sel (gabelle) et la situation d’arrivée : un pays unifié (ce qui n’est pas exactement la même chose que centralisé). État des lieuxL’Église possède 10% des terres avec 130 000 religieux et 300 000 nobles. La nationalisation des biens du Clergé sera réellement le point de départ de la création d’une nouvelle paysannerie profondément attachée à la terre. Il y a aussi une idée chère à l’auteur, car elle est féconde pour hier et aujourd’hui, c’est la fédération de la Corse à la France et non son appropriation ou son rattachement. Ce n’est nullement d’annexion mais de fédération qu’il s‘agit. Et l’incompréhension de cela est la source de beaucoup de problèmes aujourd’hui. La question de la représentation politique est fondamentale : il y eut 34 convocations des États-Généraux dont 27 eurent lieux avant 1500 et les derniers en 1614, avant ceux de 1788. Le 9 juillet, l’Assemblée nationale (en fait le Tiers-État plus une partie du Bas-Clergé et une infime partie de la Noblesse) deviendra Constituante. Celle-ci fera une Constitution dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 est la partie la plus importante, car elle porte un coup de hache violent à la Monarchie et à l’Église, qui ne s’en remettront jamais. La question des femmes et de leur place dans la société est vraiment traitée sous un jour nouveau, loin des augustes fadaises de la bien-pensance que l’on nous débite à longueur de sornettes, en mettant au jour la vraie problématique : l’exclusion des femmes est d’abord et avant tout sociale, bien avant d’être « sexuelle ou genrée ». Le 28 avril 1789, pour la première fois, le cri de « À bas la Calotte ! » est lancé, il fera flores ensuite lors des 100 jours pour ne jamais disparaitre de la vie politique, sociale et laïque de la France. La question de la liberté de conscience est aussi abordée à partir de plusieurs entrées différentes, ce qui alimente notre réflexion de Libres Penseurs. L’immense mérite et effort de Maximilien Robespierre fut d’avoir permis l’union des différentes révolutions dans la Révolution et c’est comme cela qu’un bond en avant gigantesque a pu se réaliser. Et quand le Front uni des révolutions s’est brisé, la Révolution ira vers son terme. L’auteur met aussi à bas un mythe, celui de la tentative d’assassinat de l’Incorruptible par le gendarme Merda, alors qu’en fait, c’est Robespierre qui se tira lui-même une balle dans la bouche pour se suicider après son arrestation. Deux questions particulièresIl y a bien des sujets à réfléchir suite à cette lecture, mais je voudrais en traiter deux qui m’ont particulièrement intéressé. Incontestablement, l’économie a trouvé un développement réel dans la sphère de la Méditerranée qui a donné une véritable impulsion au capitalisme naissant. Mais la fin des Croisades et l’expansion de l’Islam a interdit que l’Italie devienne le berceau naturel du Capitalisme et l’axe de développement s’est retrouvé poussé vers le nord de l’Europe, ce qui modifia grandement les choses et l’Histoire qui allait s’écrire. Il y a là un sujet qui, comme l’Oncle Paul prés de sa cheminée, va sans doute nourrir nos réflexions et travaux prochains avec l’auteur. Le deuxième sujet est la question du Pouvoir. L’auteur, à raison, indique que la phrase terrible de Saint-Just, le 13 novembre 1792 : « On ne peut régner innocemment » est fondamentale. Cela renvoie à beaucoup de choses comme Cronstadt, Makhno et les relations, parfois sanglantes, entre Bolcheviks et Anarchistes. Ce qui débouche naturellement sur la question de la Terreur du Comité de Salut public, qui fut (et cela n’excuse rien) bien moins sanglante que le Terreur Blanche de Thermidor. Marx s’interrogeait : « Dans quelle mesure, la Terreur n’était-elle pas l’œuvre de personnes elles-mêmes terrorisées ? » Il y a aussi une longue réflexion sur la formule : « La Révolution est terminée », ce qui n’a aucun sens pour Jean-Marc Schiappa. C’est sans doute pourquoi il termine son livre sur le rappel du Mouvement des Gilets Jaunes avec le rappel de deux pancartes significatives, une qui proclamait : « 1789, 1968, 2019 » et une autre : « Nous avons retrouvé la Fraternité, il nous reste à retrouver la Liberté et l’Égalité ». Avec la Révolution française, on est décidément bien loin des arguties pédantes et ignorantes de révolutionnaires de salon et de complaisance : « Gilets Jaunes, chemises brunes ». Il est sûr que l’Histoire s’écrira toujours sans et contre ces incultes incapables de faire quoi que ce soit de positif dans la marée révolutionnaire. Christian Eyschen Relire la Révolution Française par Jean-Marc Schiappa – Éditions Fayard – 352 pages – 23 € |