Réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple
Durant la Première Guerre mondiale, il y a eu une vague de Conseils de guerre envers les soldats français accusés de lâcheté, de désertion, de manque de courage, d’endormissement dans les tranchées, de refus de sortir des tranchées sous les feux des mitrailleuses ou sous les obus de canons, et parfois plus simplement, d’avoir eu le malheur d’être choisis au hasard pour faire un exemple.
En tout, on recensera en France 2 500 condamnations à mort dont 639 fusillés pour l’exemple. Parmi ceux-ci, on connaît à ce jour 12 fusillés pour l’exemple pour le département de la Loire-Inférieure.
- 7 fusillés sont nés dans la région nantaise : 5 à Nantes, 1 à Les Sorinières et 1 à Indre.
- 4 fusillés sont nés dans la région nazairienne : 2 à Saint-Nazaire, 1 à Montoir-de-Bretagne et 1 à Fégréac.
- 1 fusillé est né dans la région castelbriantaise, à Nozay.
Qui étaient les 12 fusillés de Loire-Inférieure ?
Nos sources : le site du Ministère des Armées, « Mémoire des Hommes. Fusillés de la Première Guerre Mondiale ».
1914, les fusillés de la mobilisation
C’est le cas de Louis Julien Mathurin LE MADEC, soldat d’infanterie, né 10 mars 1886 à Nantes. Inscrit sur les Tables Mémorielles de Nantes (44).
C’est un fils de journalier, journalier lui-même. Il a fait son service militaire avant le déclenchement de la guerre. En 1909, il est condamné à une peine de prison pour « désertion » parce qu’il a manqué à l’appel mais il est finalement gracié de cette peine. Il est alors incorporé à la deuxième compagnie des fusiliers de discipline, puis dans un régiment d’infanterie.
Il est signalé comme un soldat qui n’est pas attaché à la vie militaire et lorsqu’il arrête le service, il se retrouve en situation de pauvreté et de mendicité.
La guerre est déclarée le 3 août 1914. Le soldat Le Madec est en fait mobilisé dès juillet 1914. Il sera fusillé 3 mois plus tard, en octobre 1914.
Le conseil de guerre déclare Louis Le Madec « coupable d’avoir abandonné sa compagnie au moment où elle se rendait dans les tranchées et pour avoir été arrêté en état complet d’ivresse par une patrouille ». Il est précisé qu’il « faisait partie d’une bande de quelques soldats qui, pour entrer dans un débit, ont bousculé et désarmé la sentinelle qui se trouvait à la porte. »
Le conseil de guerre estime à la majorité que la conduite du soldat Le Madec « est déplorable et d’un exemple pernicieux pour ses camarades ». Il note qu’il s’agit « d’un ancien disciplinaire » et ajoute : « vrai meneur, ne mérite aucune indulgence, dangereux ».
Le soldat Le Madec est fusillé le 16 octobre 1914 à Englebelmer dans la Somme à l’âge de 28 ans.
L’avis de décès porte la mention : « indigne », et il est classé « non mort pour la France ».
1915, les fusillés pour rejet de la guerre
La Loire-Inférieure recense 4 fusillés en 1915.
Louis Jean-Marie Auguste LONGUETAUD, soldat d’infanterie, né à Nantes le 12 septembre 1889. Inscrit sur le Monument aux Morts de La Roche sur Yon (85).
C’est le fils d’un employé de chemin de fer et d’une tailleuse ; il est coiffeur à Paris. Le Conseil de guerre le condamne à la peine de mort pour « violence et voie de fait sur un supérieur, avec dégradation militaire ».
Le soldat Longuetaud est fusillé le 14 mars 1915 à Bourg-et-Cormin dans l’Aisne à l’âge de 26 ans.
Curieusement, il est reconnu « tué à l’ennemi, mort pour la France ». On ne connaît pas la raison de cette mention : peut-être est-ce parce qu’il se trouvait en 1915 la zone du Chemin des Dames, ou bien s’agit-il d’une erreur ou d’une confusion.
Charles CLERC, né à Nantes le 16 janvier 1893, sur lequel il n’existe quasiment aucune information. Inscrit sur les Tables Mémorielles de Nantes (44).
Il est condamné pour « voies de fait envers un supérieur à l’occasion du service » et fusillé le 11 avril 1915 à Acheux-en-Vimeu dans la Somme à l’âge de 22 ans.
Jean-Baptiste BACHELIER, soldat d’infanterie, né le 20 juillet 1889 aux Sorinières.
Il est le fils d’un cultivateur, cultivateur lui-même, puis garçon épicier à Paris. Condamné à mort pour « abandon de poste », le soldat Bachelier est fusillé le 4 juillet 1915 à Sailly-aux-Bois dans le Pas-de-Calais à l’âge de 25 ans.
Joseph KERFONTAN, chasseur du génie, né le 12 janvier 1885 à Indre. Inscrit sur le Monument aux Morts d’Indre (44).
Fils de métallurgiste, ouvrier métallurgiste lui-même. Condamné à mort pour « refus d’obéissance, abandon de poste, outrage à supérieur », le soldat Kerfontan est fusillé le 24 juillet 1915 à Hersin Compigny dans le Pas-de-Calais à l’âge de 30 ans.
Concernant ce soldat, des recherches sont en cours pour se réapproprier sa mémoire en relation avec la municipalité d’Indre qui, en 2016, a adopté un vœu pour la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple.
1916, l’année tournante de la guerre de tranchées avec la bataille de Verdun
La Loire-Inférieure recense 6 fusillés en 1916.
Emile LE PAHUN, soldat d’infanterie, né le 18 janvier 1886 à Saint-Nazaire.
Frappeur, fils d’un manœuvre et d’une domestique. A ce jour, il existe très peu de renseignements sur ce soldat.
Le soldat Le Pahun est passé par les armes le 1er juin 1916 à Aubercy dans la Meuse à l’âge de 30 ans.
Jean-Michel SURAUD, soldat d’infanterie, né le 27 mai 1882 à Nantes. Inscrit sur les Tables Mémorielles de Nantes (44).
Fils d’un ouvrier et d’une ménagère, c’est un journalier. Condamné pour « voie de fait envers un supérieur », le soldat Suraud est passé par les armes le 7 septembre 1916 à Verderonne dans l’Oise à l’âge de 34 ans.
Joseph PORCHER, tirailleur d’infanterie, né le 26 février 1880 à Saint-Nazaire.
Dans la vie civile, il est boucher. Condamné pour « abandon de poste et refus d’obéissance », le soldat Porcher est passé par les armes le 24 octobre 1916 à Trémont-sur-Saulx dans la Meuse à l’âge de 36 ans.
C’est le plus âgé des 12 fusillés de Loire-Inférieure.
Louis LEGENDRE, caporal d’infanterie, né le 10 juin 1883 à Fégréac.
Cultivateur, puis manœuvre. Condamné pour « voie de fait avec préméditation sur le Sergent Bailleul », lequel Sergent est mort, le caporal Legendre est fusillé le 29 novembre 1916 à Somme Suippe dans la Marne à l’âge de 33 ans.
Les cas de Joseph Bertin et Armand Juin*
qui ont participé à la bataille de Verdun
Joseph, Marie, René BERTIN, caporal d’infanterie, né le 25 septembre 1890 à Nozay. Fils de journaliers, il est domestique. Inscrit dans la Nécropole nationale de Sainte-Ménehould (51).
Armand, Théophile JUIN, soldat d’infanterie, né le 22 avril 1887 à Montoir-de-Bretagne. Fils d’un machiniste et d’une commerçante, il est charpentier. Inscrit dans la Nécropole nationale de Sainte-Ménehould (51).
Tous les deux passent avec 4 autres soldats en Conseil de guerre le 4 juin 1916. Les 6 soldats sont condamnés pour « révolte ». Quatre d’entre eux sont considérés comme « instigateurs » selon le code militaire et sont condamnés à mort. Les deux derniers sont graciés mais condamnés à la peine (alternative) des travaux forcés.
Le caporal Bertin et le soldat Juin sont fusillés le 5 juin 1916 le lendemain du conseil de guerre à Sainte-Ménehould dans la Marne. Ils ont respectivement 25 et 29 ans. Tous deux sont portés : « non mort pour la France » sur plusieurs sites Internet.
* voir ci-après l’hommage de la commune de Montoir-de-Bretagne rendu à Armand juin en 2016.
1917, le dernier fusillé de Loire-Inférieure
Jules, Charles, Victor, Alexandre ALLARD, soldat d’infanterie, né le 22 août 1892 à Nantes. Inscrit sur les Tables Mémorielles de Nantes (44).
Fils d’un chaudronnier et d’une piqueuse demeurant dans le quartier du Marchix à Nantes, un quartier où loge une population extrêmement pauvre. Jules Allard est manœuvre. Condamné à mort pour « désertion, abandon de poste et port illégal d’insignes et décorations », le soldat Allard est fusillé le 13 février 1917, lui aussi à Verdun, à l’âge de 24 ans.
2016 – L’hommage de la commune de Montoir-de-Bretagne au soldat Armand Juin
Cent ans après sa mort, le 11 novembre 2016, grâce à l’action du collectif nazairien pour la réhabilitation des Fusillés pour l’exemple, la municipalité de Montoir-de-Bretagne, qui a adopté en 2014 un vœu pour la réhabilitation Collective des Fusillés pour l’exemple, rend hommage au soldat Armand Juin, en présence de ses descendants.
Voici les principaux extraits de l’hommage rédigé par le Collectif nazairien à partir des recherches effectuées par l’un de ses membres, Michel Mahé :
« Cette année, à l’occasion de la cérémonie commémorative de l’Armistice de 1918, la Mairie de Montoir de Bretagne a souhaité rendre hommage à la mémoire d’un enfant de la commune fusillé pour l’exemple en 1916 et sur la tombe duquel figure la mention : MORT POUR LA FRANCE. Armand Théophile JUIN est né le 22 avril 1887 à Trignac, qui faisait alors partie de la commune de Montoir de Bretagne. (…) ».
(Incorporé en août 1914, Armand Juin participe à la bataille de la Marne, puis à la guerre de tranchées dans l’hiver 1914-1915. En juin 1915, il est incorporé au 65ème régiment d’infanterie qui participe à la bataille de la Somme. Puis il passe dans le 64ème RI.)
« Transféré en Champagne, le 64ème RI est engagé sur le secteur de la Courtine, où il se heurte à une résistance acharnée. Sur ce secteur, les pertes s’élèveront à près de 1 600 tués, blessés ou disparus, dont 40 officiers. Le secteur est régulièrement bombardé, et s’y ajoutent les difficultés liées à l’hiver.
La bataille de Verdun s’engage en février 1916 et le régiment se prépare à son tour à y participer. La préparation morale des soldats est poussée à fond, mais ils savent ce qui les attend au travers des journaux qui décrivent l’acharnement de la lutte, la fureur des bombardements d’artillerie et la puissance du terrible « laminoir de Verdun ».
C’est dans ce contexte que le 64ème fait mouvement dans la nuit du 26 au 27 mai en direction de Sainte-Menehould, où il rejoint par voie ferrée son cantonnement à Sivry-sur-Ante. D’après le journal de marche du régiment « le trajet s’effectue sans incidents sauf au troisième bataillon où une quinzaine de coups de fusil sont tirés en l’air et où neuf soldats manquent à l’appel à 20 heures ».
Mais il s’est passé autre chose que le journal du régiment ne relate pas.
Dans la nuit du 26 au 27 mai, six soldats du 64ème Régiment d’infanterie ont « refusé à la première sommation d’obéir à l’ordre de marcher à sa place dans la colonne, donné par les chefs ». Ce sont le caporal BERTIN de Nozay, et les soldats HENAFF et BERNARD tous deux finistériens, PICAUD de Trignac, TRIQUE de Belligné et JUIN de Montoir de Bretagne.
Ils passeront tous les six en conseil de guerre le 4 juin à Sainte-Menehould et seront reconnus coupables de révolte (…). L’exécution aura lieu (le lendemain) le 5 juin 1916 à 6 heures 30 du matin. Armand JUIN et ses trois camarades sont enterrés au cimetière militaire de la nécropole nationale de Sainte-Menehould dans la Marne, aux côtés de 5 500 autres soldats. »
Michel Mahé commente ainsi ces évènements :
« Il est fort vraisemblable que le fait pour ces soldats d’apprendre qu’ils partaient en direction de Verdun a probablement été la cause d’un mouvement d’humeur que les chefs ont vite transformé en « révolte ». Il fallait faire un exemple pour marquer les esprits parmi les hommes de troupe, comme ce fut souvent le cas durant cette guerre.
On retrouve la mention de son exécution sur le livret militaire d’Armand Théophile JUIN. Son acte de décès a été transmis près d’un an après sa mort à la Mairie de Trignac le 17 mars 1917. Il avait 29 ans. »
« Armand Juin fait partie de 825 fusillés entre 1914 et 1918, reconnus officiellement par le Ministère de la Défense, dont 563 l’ont été pour « désobéissance militaire ». Sur sa tombe et sur celle de ses trois camarades figure cependant la mention « mort pour la France »
Pourquoi cette mention « mort pour la France » pour les 4 fusillés pour l’exemple du 5 juin 1916 de Sainte Ménehould ? Très certainement parce qu’il s’agit de soldats fusillés dans le cadre des révoltes qui se développent contre la « boucherie de Verdun ». On recense 175 fusillés pour l’exemple dans le département de la Marne entre 1914 et 1918. »
Comme vous venez de le lire, ces 12 fusillés étaient pour certains des journaliers, des manœuvres. D’autres étaient ouvriers, paysans, ou encore artisans coiffeur, charpentier, etc. mais ils avaient tous en commun d’être des hommes du peuple.
C’est pourquoi, POUR TOUS, nous exigeons LA REHABILITATION COLLECTIVE
et non la réhabilitation au cas par cas.
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