Le 18 mars 1871, quand le peuple de Paris se soulève à la fois contre les Prussiens aux portes de la Ville et contre le gouvernement de Thiers qui veut désarmer la Garde nationale en prenant les canons de Montmartre et de Belleville que les Parisiens ont payé par souscription …l’institutrice Louise Michel, du Comité républicain de vigilance des citoyennes du XVIIIe arrondissement, se porte sur la butte avec une fourmilière d’hommes et de femmes écrira-t-elle dans ses Mémoires. On appelait les soldats à ne point égorger Paris, mais à défendre la République. Ils parviennent à reconquérir la butte aux militaires dont certains fraternisent avec les Parisiens. Marie-Augustine Gaboriaud, une lingère venue du fond de la Vendée trouver du travail à Paris dans les années 1850, était là, dans cette foule, comme son mari Jules Chiffon, un tailleur de pierre, engagé dans la Garde nationale. Quand la foule voulut passer par les armes les généraux qui avaient conduit l’opération (et qui avaient participé à la répression de juin 1848), Louise Michel tenta d’intercéder avec Georges Clemenceau, médecin et maire du XVIIIème arrondissement, mais en vain. L’insurrection se propage, le Comité central de la garde nationale s’installe à l’Hôtel de ville et la Commune de Paris est officiellement proclamée le 28 mars.
Louise Michel reste dans la lumière, habillée en Garde national. Elle ne craint pas de faire le coup de feu, ambulancière ou combattante, à Issy ou à Clamart, au premier rang ou ralliant les fuyards, ou dans les Clubs, comme celui de la Révolution. C’est à la barricade de la chaussée Clignancourt, avec quelques dizaines d’hommes de son bataillon, qu’elle tire ses dernières balles. Marie-Augustine Gaboriaud reste dans l’ombre, mais elle agit, ambulancière, dans l’Union des Femmes pour la défense de Paris, et « ceinte d’une écharpe rouge et armée d’un revolver, elle a accompagné et même entraîné à plusieurs reprises son mari, capitaine au 121e bataillon fédéré, aux barricades du pont d’Austerlitz, de l’avenue Daumesnil et du boulevard Mazas. On l’appelait « la Capitaine », diront ses détracteurs. Car les femmes, écrit Louise, « ne se demandaient pas si une chose était possible, mais si elle était utile, alors on réussissait à l’accomplir ».
Durant la Semaine sanglante, en mai 1871, quand les Versaillais entrent dans Paris, « comme un long serpent noir », Louise Michel recherchée, se livre le 24, en échange de sa mère arrêtée à sa place. Elle est emmenée au camp de Satory, puis transférée à la prison des Chantiers de Versailles. Marie-Augustine Gaboriaud arrêtée le 2 juin y arrive à son tour. Jusqu’à la fin août 1871, elle côtoie Louise et les 400 femmes internées en attente de jugement. Un photomontage d’Appert les identifie toutes deux dans la grande cour, parquées comme une fournée de misérables sous la surveillance des gardes, fusil au pied. « Gendarmes » dit l’officier qui veille « à la première qui bouge, tirez sur ces putains ». Jules Chiffon avait pu franchir les barrières mais il est pris à son tour le 14 juin dans l’Aube et expédié dans un fort breton. Thiers l’avait annoncé : « pour ces rebelles, l’expiation sera complète ».
Après le passage devant les conseils de guerre, pour Louise Michel en décembre 1871, condamnée à la déportation en enceinte fortifiée, comme Jules Chiffon avec en plus la dégradation civique, pour Marie-Augustine Gaboriaud en mai 1872, condamnée à 20 ans de travaux forcés ; il y eut quelques errances dans les maisons d’arrêt avant de voir nos deux « vaillantes Communeuses » réunies à la prison d’Auberive.
Tandis que Jules, venu de Brest, part en juillet 1872 avec le convoi de bagnards, déportés et transportés, et des insurgés kabyles d’Algérie, sur La Garonne, vers la Nouvelle-Calédonie, un fourgon cellulaire arrive en août 1872 à la « Maison centrale de force et de correction » de la Haute-Marne. Marie-Augustine « matricule 2139 » est accueillie, avec ses compagnes d’infortune, par Louise « matricule 2182 » et quelques autres, internées là depuis la fin mai 1872, aux cris vite étouffés de « Vive la Commune ». Sous la surveillance des Sœurs de Marie-Joseph et des gardes chiourmes, près de 400 détenues s’entassent dans les cellules étroites, suffocantes l’été, glacées l’hiver, dans l’attente de leur « transportation ». Le 24 août 1873, Louise est transférée, suivie le 22 février 1874 par Marie-Augustine, jusqu’à La Rochelle puis Rochefort, en partance pour la Calédonie, le nouveau lieu de déportation.
Près de 4 000 Communards sont déportés, plus de 20 convois des « galères de la République » vont se succéder. Louise prend le convoi de La Virginie, enfermée comme les autres dans les cages des batteries basses d’août à décembre 1873 et Marie-Augustine le trois-mâts barque L’Orne, les politiques mêlées aux droits communs, voleuses, infanticides, prostituées, destinées à servir d’épouses aux condamnés installés sur les concessions agricoles ; le « voyage » dure de mars 1874 à la mi-juillet. Pour Louise fin 1873 comme pour Marie-Augustine, six mois plus tard, le nouvel horizon devient la presqu’île Ducos sur la Grande-Terre. Jules y est arrivé en novembre 1872.
Marie-Augustine obtient le droit de rejoindre son mari dans sa paillote, sous la surveillance des sentinelles militaires, sans plus de commisération pour les déportés que pour les indigènes ou leurs chiens. Au moins pouvaient-ils tous deux être réunis et exploiter une petite concession. Louise partage sa case avec Nathalie Lemel, avant de partir en mai 1875 à la baie de l’Ouest. C’est là qu’elle recueille les contes et coutumes du peuple kanak.
Les progrès des campagnes pour l’amnistie des Communards, grâce à Victor Hugo, Clemenceau puis Gambetta, permettent à Louise dont la peine est commuée en déportation simple de s’installer à Nouméa où elle enseigne. Le sort de Marie-Augustine est plus tragique. Dans un contexte de violences marqué par la grande révolte des kanaks spoliés de leurs terres en 1878, et malgré les réductions de peine puis la « libération » du fait de l’amnistie partielle de 1879, le couple Chiffon ne bénéficie pas de ce temps de grâce. Désormais installés dans la vallée des colons à Magenta, le 22 mars 1880, un Canaque au service des pères maristes, assassine Jules à coups de hache et viole Marie-Augustine.
Louise Michel quitte Nouméa en septembre 1880, accueillie dans la lumière à son retour en gare Saint-Lazare en novembre par une foule considérable, avec Georges Clemenceau, Louis Blanc et Henri Rochefort au premier rang. Jusqu’en janvier 1905, elle reprend son combat, fidèle à ses idéaux révolutionnaires. Marie-Augustine meurt seule, dans l’ombre de l’Histoire, à l’hôpital militaire de Nouméa le 14 janvier 1882, elle n’a que 47 ans.
Louise l’anarchiste comme l’obscure Vendéenne Marie-Augustine, ont choisi leur cause : « Ceux et celles qui viendront après nous porteront semence pour la justice et la liberté ».
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En hommage, à Louise, Marie-Augustine et les 900 Communeux qui ont fréquenté les geôles vendéennes au « château » de Noirmoutier ou au fort de l’île d’Yeu entre septembre 1871 et mars 1872, cet extrait du poème de Louise Michel, Les œillets rouges :
Dans ces temps-là, les nuits, on s’asseyait dans l’ombre
Indignés, secouant le joug sinistre et noir
De l’homme de décembre, et l’on frissonnait, sombre,
Comme la bête à l’abattoir.L’Empire s’achevait, il tuait à son aise,
Dans sa chambre où le seuil avait l’odeur de sang
Il régnait, mais dans l’air soufflait la Marseillaise
Rouge était le soleil levant…
Florence Regourd pour le CDHMOT (1)
Noirmoutier 24 mai 2025
(1) CDHMOT : Centre de Documentation sur l’Histoire du Mouvement Ouvrier et du Travail en Vendée.
Florence Regourd a fait sa carrière de professeur d’histoire en lycée, puis en classe préparatoire à La Roche-syr Yon et à Nantes.
Fondatrice et actuelle présidente du CDHMOT de Vendée, elle s’intéresse particulièrement à l’histoire sociale.
A la retraite, elle écrit des ouvrages d’histoire sur la Vendée mais aussi des poèmes et des nouvelles. Cinq recueils : Itin-errances, Le clôt des cavales, Ephémères fulgurances, La porte de la ruelle, La Pointe aux herbes.
Cette biographie de Marie-Augustine Gaboriaud est son premier roman.
Marie-Augustine Gaboriaud
(Ardelay 1835 – Nouméa 1882)
Une Vendéenne dans la Commune de Paris
18 mars 1871 : le peuple de Paris se soulève, à la fois contre les Prussiens toujours aux portes de la Ville et contre le gouvernement de Thiers, qui veut désarmer la Garde nationale.Parmi ces Parisiens, nombre de provinciaux comme Marie-Augustine Gaboriaud, une lingère venue d’Ardelay, près des Herbiers et son mari, Jules Chiffon, un tailleur de pierre de la Côte d’Or.
Pendant deux mois, l’insurrection de La Commune de Paris cherche à instaurer un pouvoir ouvrier avant de sombrer dans la répression de la Semaine sanglante.
Marie-Augustine s’engage pour cette République universelle, démocratique et sociale, avec 73 autres Vendéennes et Vendéens. Louise Michel la cite à ses côtés dans ses Souvenirs. Elle est sur les barricades, emprisonnée aux Chantiers de Versailles, à Auberive en Maison centrale, condamnée et déportée en Nouvelle-Calédonie, le nouveau bagne.
Avec Louise et tant de femmes oubliées, elle survit à Ducos, dans la Baie des Dames, retrouvant son époux également déporté. Mais un sort tragique s’abat sur eux. A peine amnistiés, Jules est assassiné et Marie-Augustine meurt deux ans plus tard, elle avait 47 ans.
Cette biographie romancée nous replonge, il y a 150 ans, dans le combat de ces vaillantes Communeuses.