Découvrir la Révolution Française, par Jean-Marc Schiappa

Note de lecture

Voici un ouvrage fort utile et fort bien fait sur un sujet majeur : La Révolution Française, comment
elle commence et se termine. La séquence de l’ouvrage est très pédagogique : chaque chapitre
commence par un texte « Historique » qu’il est toujours bon de lire ou de relire, puis vient un
résumé suivi d’un exposé des faits commentés. C’est très agréable à lire.

Dans cette recension, je ne vais pas commenter chaque chapitre, car cela pourra dissuader le
lecteur d’acheter le livre et surtout de le lire. Comme Jean-Marc Schiappa est un ami et plus qu’un
ami, cela ne serait pas courtois. Je vais seulement indiquer quelques éléments qui me semblent
intéressants à noter et à étudier plus avant.

L’auteur indique que si la Révolution Française a été absolue, c’est parce qu’elle devait abattre
une Monarchie absolue aussi. Il note que la Révolution a embrasé et embrassé la société toute
entière. La paysannerie dans son ensemble voulait l’anéantissement du système féodal et la
bourgeoisie pointait. Mais la paysannerie n’avait pas la force à elle seule (même si elle était la
catégorie de population la plus nombreuse à l’époque).

Il fallait donc la force toute entière du peuple pour briser le Vieux-Monde et en créer un nouveau.
L’auteur montre bien au fil des pages du récit que toutes les catégories du « Peuple » étaient
sujettes à des luttes de classes internes. Le Tiers-État n’était pas un, mais multiple. Si, globalement,
il aspirait à être « quelque chose » comme l’écrira Sieyès dans son fameux texte (qui est publié au
début de l’ouvrage), tout le monde en son sein ne voulait pas la même chose pour « être ». Cela est
excellemment démontré par l’auteur. De même que, paradoxalement, le combat contre les
ennemis était un facteur centripète, car il unifiait, alors que les victoires obtenues étaient
centrifuges, car chacun voulait en profiter au mieux.

J’ai écrit souvent et le livre le montre bien, c’est que si la Révolution Française a été aussi
puissante, notamment contre l’Église, c’est parce que la modernité n’avait pas pu passer par son
chemin « normal » en Europe alors : le Protestantisme. Il n’y a rien « d’exceptionnel » en soi qui la
distinguerait fondamentalement d’autres Révolutions, ce qui est original, c’est l’irruption violente
des masses sur le terrain où vont se régler leurs destinées, pour reprendre une expression de Léon
Trotsky.

Des processus fondamentaux sont alors engagés

Si la Révolution n’a pas été le « Fiat Lux » sorti d’un néant, il n’en demeure pas moins qu’elle fut
créatrice de processus qui durent encore aujourd’hui. Ce qu’elle a posé sur la table de l’Histoire y
est toujours comme des problèmes à régler, à accomplir, à poursuivre et à développer en fonction
des besoins et des problèmes politiques à résoudre aujourd’hui. Nul besoin de la mythifier, elle se
suffit à elle-même.

Jean-Marc Schiappa traite de manière efficace l’Article 10 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui poursuit le chemin de la Laïcité et qui ouvre une
nouvelle étape qui débouchera sur les lois laïques et la loi de 1905.Tout n’est pas réglé alors, mais
l’impulsion fondamentale est vraiment enclenchée. Le Concordat de Bologne de 1516 avait porté
un coup sévère au système mis en œuvre par le Baptême de Clovis ; l’Article 10 ouvrait un autre
champ bien plus puissant. On voit bien que la loi « Séparatisme » vise à remettre
fondamentalement en cause ce qui a été impulsé par 1789.

Le livre montre bien aussi que la nationalisation des Biens du Clergé, si elle répondait dans
l’immédiat à un besoin de financement, entraîna une décléricalisation de la société, parfois
accompagnée par une certaine déchristianisation. Il rappelle que l’objet de la convocation des
États-Généraux était la levée de nouveaux impôts et que ceux-ci vont déboucher sur bien autre
chose. Il en est totalement de même pour la nationalisation des Biens du Clergé. Comme
l’analysait si bien Carl von Clausewitz, il n’y a souvent aucun rapport entre le déclencheur d’un
conflit et le résultat qu’il engendre.

Des questions toujours actuelles

Ce qui est aussi très intéressant, c’est la question de la Guerre, qui est très bien traitée dans ce
livre. Les ignorants de mauvaise foi nous rebattent les oreilles sur le pseudo-centralisme
« jacobin », alors que celui-ci est d’essence « girondine ». La Constitution de 1795 est profondément
centraliste, alors que celle de 1793 « jacobine » est non seulement la plus démocratique, mais la plus
décentralisatrice possible.

Les Girondins voulaient la Guerre à l’extérieur pour empêcher la contestation interne qui
menaçait leurs pouvoir et privilèges. Ils donnèrent ainsi le prétexte voulu aux Monarchies
coalisées pour faire le Manifeste de Brunswick. C’est pourquoi Louis XVI et Marie-Antoinette
appuyèrent à la fois la Déclaration de guerre, car ils espéraient que la Révolution serait balayée,
et aussi les menées de Coblence. C’est très bien expliqué dans l’ouvrage. La différence entre les
Girondins et les Jacobins se concentre essentiellement sur la question de la guerre.

La question de la Femme et des Femmes dans la Révolution est aussi abordée sous un angle
rationaliste et non pas mythifié dans un sens négatif ou positif comme trop souvent. Je lisais
récemment un autre ouvrage où l’on présentait Madame Rolland, Charlotte Corday et Olympe
de Gouges comme des témoins de la foi révolutionnaire de l’époque. Pour les naïfs qui croient
cela sur parole, je leur conseille vraiment de lire l’ouvrage de Jean-Marc Schiappa, il y a loin en
effet de la coupe aux lèvres.

Beaucoup d’autres sujets sont traités, comme les Sans-Culottes, l’Esclavage, la Contre-Révolution, Bonaparte, et bien sûr la Terreur. S’il y eut de nombreuses victimes sous la Terreur
Rouge, les sycophantes contre-révolutionnaires oublient toujours de dire que la Terreur blanche
après la chute de Robespierre fut bien plus sanglante, ce qui n’excuse pas les massacres commis
avant au nom de la Révolution bien sûr.

L’affirmation dans la Constitution de 1793 que « le but de la société est le bonheur commun »
indiquait clairement que « le bonheur n’est donc pas quelque chose que l’on obtiendrait dans un autre
monde, par élection divine, mais une construction sociale, sur cette terre. » Il est aussi traité de la
question de « qui étaient les meilleurs pour gouverner ? » Pour les uns, c’est l’Égalité qui devait
primer ; pour ceux qui voulaient terminer la Révolution, ce sont les propriétaires qui seuls
pouvaient le faire, d’où le suffrage censitaire et la Propriété érigée comme un principe absolu.
C’est le triomphe de la Bourgeoisie, dont c’est l’avènement plein et entier.

Bien entendu, un ouvrage sur la Révolution Française de Jean-Marc Schiappa n’en serait pas
vraiment un sans Gracchus Babeuf (1). Je vous laisse découvrir cela, c’est un chantier toujours en
construction pour l’auteur de l’ouvrage que, vous l’aurez compris, je vous recommande
chaudement de lire.

Christian Eyschen

Découvrir la Révolution Française par Jean-Marc Schiappa – Éditions sociales – 198 pages – 12 €.


(1) – Cet ouvrage, à la fois concis et savant, est une bonne introduction à un sujet d’une grande amplitude. Il s’appuie sur des commentaires de documents qui le rendent accessible et plaisant à lire.
On peut se féliciter qu’un spécialiste de la question, qui s’est vu récemment décerner le prix Guizot de l’Académie française pour son «Gracchus Babeuf» (2023), nous offre une porte d’entrée vers une historiographie dense et complexe.
Nous vous invitons à prendre connaissance de la recension écrite par Christian Eyschen de ce nouveau livre de Jean-Marc Schiappa.
Vous y trouverez quelques traits saillants de l’œuvre ainsi que des réflexions d’un grand intérêt pour la faire résonner avec les questions présentes.

Isabelle d’Artagnan, Présidente de l’Irelp

Article sur le site de l’Irelp