120 ans de la loi de 1905 : la télévision d’État contre la science

Le 6 décembre, le mouvement laïque français s’est réuni pour deux événements marquants à l’occasion des 120 ans de la loi de 1905. La matinée s’est déroulée à la Grande Loge de France et a permis de revenir sur l’histoire de la Séparation, de sa genèse à sa mise à mal par les politiques gouvernementales, mais aussi sur la diversité des régimes de laïcité réalisés à l’étranger. L’après-midi a réuni les principales organisations de défense des libertés démocratiques, tous les syndicats laïques de ce pays, des organisations de travailleur·es immigré·es et plusieurs militant·es de la cause laïque à travers le monde.

Si le mouvement libre-penseur s’honore d’avoir apporté son concours à ce grand succès, la cheville ouvrière en fut la Vigie de la Laïcité, avec laquelle l’IRELP a tissé des liens de compagnonnage intellectuel et humain depuis sa fondation. Nous adressons ici nos plus chaleureuses salutations à nos ami·es Valentine Zuber, Nicolas Cadène, Philippe Portier, Jean Baubérot, Jean-Louis Bianco.

Mais les fidèles de la télévision d’État n’auront rien su de cette journée. Comme le signalait Jean Baubérot en clôture de la matinée, France 2 a préféré programmer le 9 décembre au soir un prime time dont le titre seul montre l’ambition falsificatrice : « Laïcité, l’exception française », sous-titré « 120 ans et maintenant ? ». L’emplacement du point d’interrogation veut tout dire : il s’agit d’accréditer le mythe de l’exception laïque française. Ce mythe est pourtant annihilé par la simple lecture du rapport Briand qui servit de cadre aux débats de 1905. Le rapport est nourri par la comparaison internationale, et par l’analyse sans concession des contradictions historiques dans le rapport de l’État aux cultes en France.

Mais la complexité historique et la comparaison internationale n’intéressent pas la télévision étatique. Celle-ci préfère se complaire dans le dévoiement du sens des mots, et dans une tentative de nationaliser l’universalisme laïque pour en faire un instrument identitaire. La composition du plateau est tout un programme : elle mêle un historien en retraite et militant macroniste, un philosophe de cabinet politique devenu organisateur de faux colloques pour le compte de Jean-Michel Blanquer et des chroniqueurs de la presse conservatrice chrétienne. L’émission a lieu depuis le Panthéon, qualifié pour l’occasion de « Temple de la République », sous la houlette de la présidente des Musées Nationaux.

Voilà une bonne illustration de ce que les universitaires et spécialistes réunis samedi matin ont pointé com-me la grande confusion qui menace aujourd’hui l’héritage de 1905 : sa transformation en un monument national qui sert de pierre de touche à une religion publique néo-gallicane. En d’autres termes : cette émission participe du déploiement d’une idéologie d’État séculariste. Cette entreprise dévoie ce contre quoi les Buisson, Jaurès et Briand se sont battus.

Le succès de l’événement du 6 décembre est le meilleur désaveu que l’on puisse infliger aux propa-gandistes de la télévision d’État : ce jour-là fut un jour dédié à la libre poursuite de la vérité, de toute la vérité, une vérité historique contradictoire et profondément internationale. Nous avons servi la vérité sous les deux modalités que cette action peut prendre : l’investigation scientifique et le combat politique contre la propagande et la régression idéologique.

C’est ce pacte entre la vérité et l’action politique qui fonde notre conception de la démocratie. Il est aussi la raison d’être de l’IRELP. Ce soir, la télévision d’État a confirmé qu’elle avait choisi son camp : celui d’un culte public, d’une pensée sur ordonnance. Contre tous les marchands de falsifications et de mythes, nous continuerons notre travail, animés par notre certitude : la vérité est toujours révolutionnaire.