Dans la dernière période, les principes énoncés par la loi du 9 décembre 1905 ont subi de graves atteintes.
1. Sur les aspects diplomatiques
. Dernier Président du Conseil de la Quatrième République, inspirateur de la Constitution du 4 octobre 1958, Charles de Gaulle (1890-1970), par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège, Roland Jacquin de la Margerie, un de ses proches, soutient discrètement en 1958 la candidature d’Angelo Roncalli (1881-1963), ancien nonce apostolique à Paris, francophile, à l’élection sur le trône de Saint-Pierre sous le nom de Jean XXIII.
. En 1963, avec le concours de l’ambassadeur de France au Vatican, Guy de la Tournelle, il réitère son implication discrète dans les affaires internes de l’Eglise romaine en appuyant la candidature de Giovanni-Baptista Montini (1897-1978) à la succession de Jean XXIII, élu sous le nom de Paul VI.
2. Sur le sauvetage de l’école catholique
. Après l’échec des négociations entreprises en 1956 par le gouvernement dit de Front républicain avec Rome, le dossier de la contractualisation des établissements privés d’enseignement avec l’Etat est rondement instruit par le Premier ministre de la nouvelle Vè République, Michel Debré, qui installe, à cette fin, de juin à octobre 1959, une commission présidée par le socialiste Pierre-Olivier Lapie (1901-1994).
La loi du 31 décembre 1959 assure le financement public des classes de l’enseignement privé sous contrat : l’Etat prend en charge la rémunération des professeurs et, dans le secondaire, un forfait d’externat tandis que les Collectivités territoriales couvrent les autres dépenses, dans les mêmes conditions que dans l’enseignement public, sous réserve de celles, résiduelles, imputables au caractère propre des établissements.
. Les dispositions de la loi du 31 décembre 1959 ont été constamment améliorées en faveur de l’enseignement catholique par les gouvernements successifs de la Vè République :
- égalisation des conditions de rémunération des enseignants du public et du privé par la loi Guermeur du 25 novembre 1977 ;
- extension de la contractualisation à l’enseignement agricole privé par la loi dite Rocard du 31 décembre 1984 ;
- financement public de la formation des maîtres du privé par les accords dits Lang-Cloupet de 1992 et 1992 ;
- instauration de la parité de financement public entre les écoles publiques et privées sous contrat accueillant des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence par la loi du 28 octobre 2009;
- abaissement de l’âge de l’obligation scolaire de six à trois ans par la loi du 26 juillet 2019 de manière à forcer les communes à verser leur contribution aux charges pédagogiques des classes pré-élémentaires sous contrat d’association.
. Dans la foulée de l’entrée en vigueur de la loi Debré, le décret du 22 avril 1960, désormais codifié aux articles R.141-1 et R. 141-4 du Code de l’éducation, offre la possibilité aux parents de demander aux autorités académiques de créer, certes à leurs frais, des aumôneries dans les établissements publics du second degré dépourvus d’internat, alors que l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ne vise que les aumôneries des lycées publics recevant des internes.
. Dernier élément : la loi du 24 août 2021 porte atteinte à la liberté de l’enseignement, assurée par la loi du 28 mars 1882 dite Ferry et découlant depuis l’aube du XXè siècle de la liberté de conscience garantie par la loi du 9 décembre 1905 concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat, et ce, en réduisant les possibilités d’instruction des enfants à domicile.
3. Sur les Congrégations
. La loi initiale du 1er juillet 1901 sur le contrat d’association, dans sa deuxième partie, soumettait la reconnaissance légale des Congrégations au vote d’une loi par le Parlement. Cette disposition a bridé l’activité de ces groupements religieux, toujours suspects aux yeux du pouvoir civil. La loi du 7 juillet 1904 interdisait même les congrégations religieuses enseignantes.
. La loi du 8 avril 1942, toujours en vigueur, modifie la procédure de reconnaissance des Congrégations : un décret suffit à leur conférer la personnalité morale. En 1942 et 1943, trois congrégations sont reconnues par le Régime de Vichy et aucune de 1944 à 1970.
. A la suite de son élection à la Présidence de la République, en 1969, Georges Pompidou (1911-1974) et ses successeurs utilisent à plein la loi du 8 avril 1942 : de 1970 à 1990, 360 Congrégations autorisées. De surcroît, les Congrégations autorisées sont exonérées de droits sur les libéralités en application du 10è de l’article 795 du Code général des impôts.
. Enfin, de 1969 à 1974, la loi du 8 juillet 1969 a permis aux Congrégations non autorisées de constituer comme prête-nom des sociétés commerciales pour la gestion de leur patrimoine affecté à des activités cultuelles, puis de les transformer sans difficulté en association de droit commun de la loi de 1901, de manière à ce qu’elles disposent d’une couverture légale permettant de gérer leurs biens sans entrave.
4. Sur les lieux de culte
. En vigueur de 1959 à 1967, le Décret du 31 décembre 1958 a créé les zones à urbaniser par priorité (ZUP). Il s’agissait de faciliter la construction des grands ensembles. En 1961, L’Eglise a installé le Comité national de construction d’églises (CNCE), chargé de trouver un accord avec l’administration pour obtenir une aide de l’Etat en faveur de l’édification de nouveaux lieux de culte dans les ZUP. En violation de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 interdisant tout financement public des cultes, plusieurs hauts fonctionnaires ou anciens hauts fonctionnaires s’emploient à trouver une solution favorable à l’Eglise, notamment les inspecteurs des finances Pierre de Calan, catholique favorable à la Collaboration sous Vichy, Maxence Faivre d’Arcier et François Bloch-Lainé, ancien Résistant, directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) de 1953 à 1967.
. La loi de finances rectificative du 29 juillet 1961 ouvre aux cultes la possibilité de contracter avec la garantie de l’Etat des emprunts bonifiés aux conditions prévues pour les collectivités locales.
. Enfin, en 2006, le gouvernement Villepin a modifié par ordonnance l’article L.1311-2 du Code général des collectivités territoriales pour permettre à celles-ci de consentir des baux emphytéotiques administratifs à des fins cultuelles. En 2011, le Conseil d’Etat a jugé qu’un loyer d’un euro symbolique pour la jouissance de droits réels immobiliers pendant une période de dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans était acceptable au motif que les pouvoirs publics auraient entendu déroger à la loi du 9 décembre 1905 sur ce point.
5. Sur les aides fiscales
. Non seulement les lieux de culte, même privés, bénéficient d’une exemption de taxe foncière, de taxe d’habitation et de taxe locale d’équipement, en application respectivement des articles 1382 4° et 1585 C du Code général des impôts (CGI) mais d’autres avantages fiscaux ont été consentis aux religions sous la Vè République.
. D’une part, en 1961, le Gouvernement a saisi pour avis le Conseil d’Etat à propos de la réduction éventuelle de l’impôt sur le revenu ou les sociétés du montant des versements consentis par les entreprises en faveur de la construction ou de l’entretien de lieux de cultes. Par un avis du 15 mai 1962, le Conseil s’est déclaré favorable à cette réduction. L’article L.238 bis du CGI concernant la déduction du montant de l’impôt des dons des entreprises à caractère philanthropique a été modifié en conséquence.
. D’autre part, la Circulaire dite La Martinière du 7 janvier 1966, qui précise le régime fiscal applicable aux associations diocésaines, au clergé et aux associations, prévoit d’exclure de la base taxable les honoraires de messe, et ce sans base légale.
. Enfin, dans la suite de la loi du 23 juillet 1987 sur le Mécénat et en application de l’article 200 du CGI, les dons manuels consentis par les particuliers en faveur des cultes donnent lieu à une réduction d’impôts. Egale actuellement à 66 % du montant des dons dans la limite de 20 % du revenu imposable, elle n’était que de 40 % en 1994, dans la limite de 1,25 % de ce revenu, proportion néanmoins portée à % lorsque le bénéficiaire était un culte.
6. Sur la protection sociale des ministres des cultes
. Lorsque les ministres du culte ont la qualité de salariés d’associations cultuelles de droit commun, ils sont affiliés au Régime général de Sécurité sociale auquel ils cotisent dans les conditions habituelles. Quand ils ne sont pas liés par un contrat de travail avec une structure religieuse, ils relèvent du Régime des cultes instauré par la loi du 2 juillet 1978 sur la généralisation de la Sécurité sociale. Celui-ci est géré à l’origine par deux caisses, la Caisse assurance maladie des cultes (CAMAC) et la Caisse d’assurance vieillesse invalidité des Cultes (CAVIC). En raison du montant très faible des cotisations, l’équilibre des deux était assuré par une forte subvention d’Etat. Dans la mesure où les cotisations des salariés constituent des deniers réglementés, il s’agit bien de financement public des cultes.
. A la suite d’une intégration progressive du Régime des cultes au sein du Régime général, d’une part, les deux organismes ont été fusionnés en un seul à compter du 1er janvier 2000, d’autre part, la contribution d’équilibre a été mise à la charge du Régime général. En 2018, celui-ci a versé à ce titre près de 143 millions d’euros. Dans la mesure où les cotisations de Sécurité sociale constituent des deniers réglementés assimilables à des fonds publics, il faut considérer ce financement comme une aide aux cultes qui refusent de considérer leurs ministres comme des salariés.
Dominique Goussot
Pour la Commission « Droit et laïcité »
de la Fédération nationale de la Libre Pensée
NB – Article publié dans La Raison n° 691 – mai 2024