Menaces sur la Loi de Séparation du 9 décembre 1905, par Loïck Gourdon

Loïck Gourdon intervenant au Congrès national de la Libre Pensée à Saint-Herblain
en août 2018.

CONFERENCE A VANNES
le 8 décembre 2018

Connaissant mon engagement depuis 30 ans à défendre la laïcité institutionnelle et la liberté absolue de conscience, mes camarades de la Libre Pensée du Groupe de Vannes m’ont demandé d’intervenir devant vous, ce que je fais avec grand plaisir, dans ce pays vannetais où l’Eglise catholique est encore très influente.

On nous répète à satiété qu’on ne touchera pas la Loi de 1905, cette loi de concorde qui établit la paix civile dont nous célébrons le 113e anniversaire. Qu’en est- il ?

Je ne vous infligerai pas la longue litanie des atteintes à la loi de 1905, dont Emile Poulat affirmait qu’elle a été modifiée une cinquantaine de fois sans compter les tentatives avortées, la dernière en date étant les conclusions de la Commission Machelon mise en place par Sarkozy en 1996. Modifiée à la marge certes, sauf dans son article 19, modifié par la loi du 24 décembre 1942 par le régime de Pétain, article toujours en vigueur, à ce jour jamais abrogé, ni par la droite ni par la gauche.

Or c’est précisément, si l’on en croit L’Opinion qui fort opportunément a eu vent du projet de loi, cet article 19 ainsi que les dix-sept suivants, définissant le régime des cultes qui seraient réécrits. Soit un tiers de la loi. Autant dire qu’à défaut d’être abrogée, la loi de séparation serait vidée de son contenu, détournée, la séparation faisant place à un néo-Concordat, la fiscalité dérogatoire consentie aux cultes reviendrait de fait à leur financement public déguisé et donc à leur reconnaissance, notion juridique niée par la loi de séparation.

Avant d’entrer dans les détails, il me semble utile de préciser le sens du mot Concordat.

Le Concordat de 1801 auquel nous nous référons, signé par le Premier Consul Bonaparte, est un texte diplomatique et non philosophique dans le but de consolider son pouvoir en s’appuyant sur une Eglise catholique très influente. Le Concordat réorganise l’Eglise de France : les évêques sont nommés par le pouvoir civil et investis dans leur charge par le pape ; les édifices du culte nationalisés restent propriété publique mais affectés en exclusivité à l’exercice de la religion catholique. En échange de l’abandon des biens ecclésiastiques vendus sous la Révolution, le gouvernement – je cite : «  assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés » Le vrai but du Concordat est contrôler le clergé diocésain.

A bon droit, on peut considérer que l’actuelle réintroduction de mesures de type concordataire a le but avoué de contrôler les nouveaux prédicateurs, les imams, vous l’avez compris. D’ailleurs, le Journal du Dimanche du 5 novembre 2018 le confirme : il s’agit : « de vouloir poser à l’Islam de France un cadre et des règles ». Le 6 novembre 2018, la Ministre de la Justice déclarait sur France Inter : « Il est possible que la Loi de 1905 soit amendée ». « La réflexion est en cours et nous ne faisons pas de commentaire à ce stade » précise l’Elysée. La prudence est de mise car le sujet est éminemment sensible.

1905 ! 

Ouvrage Collectif coordonné par Jean-Marc Schiappa, Président de l’IRELP (Institut d’Etudes et de Recherches de la Libre Pensée).
Photo FNLP.

Face à la poussée de l’Islamisme intégriste, le Gouvernement veut adapter la législation sur les cultes à la nouvelle réalité : « Les objectifs sont de responsabiliser les gérants des lieux de culte, de prévenir les dérives et de réduire l’influence étrangère. » confie au journal L’Opinion un conseiller de la Présidence de la République visiblement chargé de préparer l’opinion publique.

Regardons cela de plus près.

Le but de la Loi de Séparation des Eglises et de l’Etat est précisément de mettre fin à la situation concordataire. « Je veux l’Eglise chez elle et l’Etat chez lui» s’exclamait le grand Victor Hugo.

  • L’Article 1er de loi de 1905 dispose : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes  sous les seules restrictions édictées ci- après dans l’intérêt de l’ordre public ».
  • L’Article 2 précise : « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence […] seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements, des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes ».

Concordat, avons- nous dit. La mise en place d’un label d’Etat pour les associations religieuses, n’est rien d’autre. Ainsi l’Etat décernerait-il aux associations religieuses un brevet de « qualité cultuelle ». La volonté de l’exécutif serait de mieux éviter l’ensemble des structures qui aujourd’hui peuvent être régies par la Loi de 1901 sur les associations ou par la Loi de 1905.

A l’avenir, une association religieuse pourrait donc avoir à effectuer un ensemble de démarches pour obtenir ce label, d’une durée de cinq ans et qui pourra lui être retiré en cas de manquement. La qualité cultuelle lui conférerait de nouveaux droits mais aussi des devoirs. Enfin on peut le croire, bien que la croyance demeure l’opium du peuple.

L’exécutif espère donc que le nouveau statut sera suffisamment incitatif pour convaincre les associations cultuelles de l’adopter. Rien n’est moins sûr : aujourd’hui 4 000 associations relèvent du statut établi par la Loi de 1901 et donc les bénéfices des avantages fiscaux sont liés à des obligations de transparence.

Deuxième point : il est question d’adapter les subventions publiques à la comptabilité des associations. Alors que l’Etat ne doit financer aucun culte des exceptions existent. La première mouture de l’article 19 de la Loi du 9 décembre 1905 est très claire : « seules les réparations de monuments historiques classés » peuvent être prises en charge l’Etat ou les Collectivités. Dans la pensée du législateur cette restriction signifiait que, s’il est légitime, dans l’intérêt général, d’entretenir le patrimoine national, il ne l’est pas d’accorder un privilège financier à une religion qui ne doit engager que ses fidèles et non la puissance publique.

Philippe Pétain. Photo Wikipedia.

Et là, il nous faut revenir à la rédaction de l’article, modifié par la Loi du 24 décembre 1942  de la main du Maréchal Pétain.

« Elles [les Associations] ne pourront sous quelque forme que ce soit, recevoir de subventions de l’Etat, des départements et des communes. Ne pourront pas être considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques ».

Force est de constater que le législateur de 2018 met les pas dans ceux de son prédécesseur de 1942. L’heure n’est plus aux inventaires mais à la «rénovation énergétique» qui pourrait donc être directement subventionnée. Pour faire passer la pilule, on annonce que l’on devrait rendre une comptabilité transparente contrôlée par les services de l’Etat.

Troisième point : les Associations se verraient soumises à un contrôle des financements venus de l’étranger. Il s’agit bien sûr de limiter l’influence de l’étranger sur les associations islamistes. Tout don dépassant 10 000 euros et provenant d’un Etat, d’une entreprise ou d’un particulier devra faire l’objet d’une déclaration. Un don non déclaré pourrait donner lieu à des sanctions  financières.

Quatrième point : Les futures associations cultuelles pourraient posséder et louer des immeubles destinés au culte et en tirer des revenus locatifs, des ressources propres susceptibles de favoriser leur autonomie financière. Notons que l’exécutif avait déjà tenté, en janvier dernier, de faire passer cette disposition dans un article de la loi sur le droit à l’erreur mais avait dû y renoncer devant les réticences de la majorité parlementaire.

Cinquième point : Un bouclier serait mis en place  « pour empêcher les prises de contrôle inamicales ». La connotation sémantique renvoyant à la vie des entreprises ne manque de sel. Une disposition « anti-push » serait crée, outil juridique destiné à empêcher notamment « la captation de l’enceinte cultuelle par des prédicateurs radicaux » en insistant sur la nécessité d’une délibération collégiale en cas de changement des statuts ou de cession d’un bien. Dans ce cas de figure l’Eglise n’est plus chez elle, l’Etat s’ingère délibérément dans son fonctionnement. Nous sommes donc en plein concordat

Sixième point : La police des cultes serait renforcée alors que l’arsenal juridique existant est suffisant pour faire face à ce problème, l’avant-projet insiste sur la nécessité de mieux réprimer les infractions des prédicateurs religieux à travers la « police des cultes ». Le barème serait alors revu à la hausse – je cite : « Inciter directement autrui à ne pas respecter les lois ou les ordres de l’autorité publique » pourrait à l’avenir être passible de 12 000 euros d’amende ; une entrave à l’exercice du culte par des menaces, d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.

Du « toilettage » sarkozyen, on est passé à la pré-visite opératoire du « lifting » macronien. A l’évidence, parce qu’on craint de s’en prendre ouvertement à la neutralité de l’Etat en matière religieuse, la main droite sur le cœur, ignorant ce que fait la main gauche, on jure ne pas toucher aux fondamentaux de la Loi de 1905. En réalité, on biaise,  et dans la pure tradition jésuite, la réécriture des articles définissant le « régime des cultes », de fait abolit hypocritement la Séparation des Eglises et de l’Etat en introduisant des mesures qui permettent cette fois le financement direct des activités cultuelles.

Soyons clairs : le financement des cultes sur les deniers publics intervient nécessairement au détriment des services sociaux universels dans lesquels les mêmes sommes auraient pu être investies. Cela revient à faire reculer le principe d’égalité. Ces financements remettent en cause l’universalisme et renforcent le communautarisme.

La religion n’offre pas à elle seule le « supplément d’âme » à un monde sans âme. En effet, on ne peut la dissocier du dogme porteur de violence et d’intolérance.  N’oublions jamais que la laïcité  permet l’expression religieuse ou celle de l’incroyance et qu’elle repose sur l’édifice juridique de la Loi de Séparation.  Accepter sa remise en cause c’est entrer dans la soumission volontaire.

Laïques, soyons vigilants, face aux imposteurs, faisons vivre la « Laïque », faisons vivre la « Sociale ». Vive la Laïque, vive la sociale, et à bas les calottes.

Loïck GOURDON, Libre Penseur

Membre du Conseil d’Administration
de l’Institut d’Etudes et de Recherches de la Libre Pensée (IRELP)